Pour y remédier et rejoindre les meilleurs en termes de montant de capital-risque rapporté à la taille de l’économie, trois options s’offrent au pays : une solution logique, mais très ambitieuse, de réforme globale de la fiscalité de l’épargne ; un choix plus direct de refonte et d’approfondissement de certaines niches fiscales en les ciblant mieux sur le capital-risque ; enfin, moins radicale mais non dénuée de complexité, une modification à la marge des produits d’épargne réglementés existants. Selon les paramètres retenus, ces options peuvent être mises en oeuvre à un coût nul pour les finances publiques.
En Europe, autant de créations de startups qu'aux États-Unis, mais une croissance moins rapide
Autant de startups naissent en Europe qu’aux États-Unis ou en Asie, mais elles se développent moins vite. Les startups jouent un rôle de plus en plus important dans le dynamisme et le renouvellement du tissu productif ainsi que dans le développement de nouveaux secteurs économiques. À l’image du secteur du numérique, les jeunes pousses exercent un rôle déterminant dans le développement des industries de demain, que ce soit dans le domaine de la transition écologique (greentechs), de la biologie (biotechs), de la médecine (medtechs), de la finance (fintechs) ou des objets connectés.
Aujourd’hui, les startups à succès sont plus américaines et asiatiques qu’européennes. En 2015, l’Europe comptait seulement 15 « licornes »[1], contre 90 aux États-Unis et 31 en Asie. Cinq des dix premières capitalisations américaines sont d’anciennes startups et pèsent d’un poids déterminant dans l’économie. L’analyse comparée de l’âge moyen des capitalisations boursières en France et aux États-Unis, montre que l’écart a doublé au cours des quinze dernières années[2] : en 2015, il était de 91 années aux États-Unis comparé à 132 en France (contre 84 et 104 années en 2000).
Cet écart dans la capacité à régénérer le tissu productif s’explique moins par la difficulté de la France et de l’Europe à faire éclore de jeunes entreprises innovantes que par la moindre capacité à les faire croître sur le territoire national. Les créations de startups sont en nombre comparable en Europe et aux États-Unis[3] mais, dix ans après leur date de création, les startups américaines comptent en moyenne deux fois plus d’employés que leurs homologues européennes.
L'importance de l'accès au financement
Parmi les nombreux facteurs qui influencent la capacité de développement des startups, l’accès au financement est critique. Sans passé bancaire et porteuses de nouveaux modèles d’affaires encore non rentables et dont la viabilité est difficile à évaluer, l’activité de ces jeunes entreprises est inadaptée au circuit de financement classique par crédit bancaire. Requérant une prise de risque plus élevée de la part des investisseurs, leur financement repose en large partie sur des apports de fonds propres aux différents stades de leur développement, de l’incubation (quand elles sont encore en phase de création) à la sortie (par revente ou par introduction en bourse). Cette chaîne de financement, désignée sous le terme de « capital-risque » lorsqu’elle concerne les phases de création et de croissance de startups, fait intervenir différents types d’acteurs : principalement les fonds d’investissement publics et privés spécialisés dans le capital-risque et les business angels (personnes physiques, souvent d’anciens entrepreneurs à succès, qui investissent à titre personnel dans des startups au démarrage). Au-delà de l’apport de fonds, ces acteurs jouent un rôle important dans l’accompagnement et le conseil aux entreprises qu’ils soutiennent financièrement et sont à ce titre des acteurs centraux de l’écosystème.
Le capital-risque est reconnu comme un puissant stimulateur de l’innovation et de sa diffusion[4]. Aux États-Unis, sur le champs des entreprises fondées après 1974, 42 % ont bénéficié d’un soutien en capital-risque lors des premières phases de leur développement et ces 42 % réalisaient en 2014 85 % des dépenses de R & D[5].
En France, des volumes encore en deçà du potentiel
En 2015, les montants de capital-risque atteignaient 65 Md€ aux États-Unis, 44 Md€ en Chine, et 2,3 Md€ en Israël, comparé à 4,3 Md€ au Royaume-Uni, 2,9 Md€ en Allemagne et 1,7 Md€ en France[6]. Rapporté au PIB, le poids du capital-risque en France est quatre fois inférieur à celui aux États-Unis et en Chine, et deux
fois inférieur à celui au Royaume-Uni et en Suède.
Malgré les progrès récents, l’écosystème du financement du capital-risque en France conserve d’importantes marges de progression si l’on compare aux volumes mobilisés par les écosystèmes plus matures. La disponibilité de fonds en quantité suffisante non seulement permet de financer les projets portés par des nationaux, mais elle est également un puissant facteur d’attractivité pour les porteurs de projet étrangers. Aux États-Unis, plus de la moitié des « licornes » ont au moins un membre fondateur d’origine étrangère[7]. Nombreux sont les porteurs de projet étrangers, dont beaucoup de Français, qui choisissent de développer leur startup dans ce pays pour bénéficier de son écosystème et de l’importance des financements disponibles. 22 % des salariés de l’écosystème parisien des startups sont étrangers, contre 53 % à Londres, 49 % à Berlin et 45 % dans la Silicon Valley, selon le baromètre Compass[8].
Pour ne pas accroître le retard qui est le sien dans la révolution numérique, la France devrait se fixer comme objectif de rattraper en cinq ans le niveau de financement, exprimé en pourcentage du PIB, que l’on observe aux États-Unis (soit un quadruplement, à 8 Md€, pour passer de 0,1 à 0,4 point de PIB).
Pour favoriser ce rattrapage, la réponse a largement consisté à développer le soutien public, notamment à travers Bpifrance qui co-investit avec les investisseurs privés. Notre pays se caractérise ainsi par l’importance du financement du capital-risque par des fonds publics, qui représentent plus du quart des montants levés. Cela s’explique en partie par l’absence de fonds de pension et de fondations universitaires. De fait, l’horizon temporel de ces investisseurs, plus lointain que celui des autres acteurs institutionnels (banques, fonds généralistes, etc.) et leur capacité plus élevée à prendre des risques (comparée aux assureurs par exemple), en font des acteurs importants dans d’autres pays. La France se caractérise également par la taille plus faible des fonds spécialisés. Les plus grands fonds français sont par exemple de l'ordre de dix fois plus petits que les plus grands fonds américains. Cette fragmentation pose problème notamment pour les levées de fonds les plus importantes, au-delà de la phase d’amorçage, qui sont indispensables pour accompagner la croissance des startups à succès et les garder sur le territoire.
Du point de vue du financement des startups, l’enjeu pour la France est donc double : augmenter les flux globaux investis et permettre l’apparition d’acteurs de taille plus importante. En outre, la progression de la taille des fonds de capital-risque doit aller de pair avec leur internationalisation et l'amélioration de la qualité du suivi et du soutien qu’ils apportent aux startups dans lesquelles ils investissent, condition indispensable à la réussite de ces dernières.
La fiscalité de l'épargne au service de la croissance
Du côté des particuliers, les dispositifs fiscaux en France favorisent les placements peu risqués comme l’immobilier et, du côté des placements financiers, l’assurance-vie (principalement investie en titres de dette publique) et les livrets d’épargne réglementés. Ces incitations se font au détriment des financements plus porteurs comme celui des jeunes entreprises à fort potentiel.
Les montants nécessaires pour quadrupler la taille de l’écosystème (trouver 6 Md€ par an supplémentaires) ne sont pas négligeables, comparés au flux d’épargne financière annuelle dégagée par les ménages qui est de l’ordre de 75 Md€[9]. Ils paraissent cependant modestes au regard de leur patrimoine financier (plus de 4 700 Md€ d’actifs détenus en 2015). En particulier, une petite partie des montants investis en livrets d’épargne réglementée (plus de 590 Md€) ou encore en assurance-vie (plus de 1 370 Md€[10]) pourraient être au fil des ans rebasculés vers le capital-risque.
Étant donné la diversité des acteurs qui interviennent dans l’écosystème de financement, la question d’une fiscalité plus orientée vers les startups se pose à plusieurs niveaux. Du côté des business angels, le CAE[11] souligne par exemple le caractère moins favorable en France du régime sur les plus-values de cession : alors qu’un taux effectif maximal de 20 % s’applique au Royaume-Uni, c’est un taux dégressif qui passe de 62 % la première année à 23,75 % lorsque les parts de l’entreprise ont été détenues pendant huit ans qui est appliqué en France. Le « compte PME innovation » instauré par la loi de finances rectificative 2016, qui permet aux business angels de bénéficier d’un report d’imposition lorsqu’ils réinvestissent dans une entreprise à fort potentiel, constitue un premier élément de réponse à cette question.
L'épargne canalisée vers le financement du capital-risque
Trois options peuvent être envisagées pour encourager fiscalement le financement du capital-risque : (i) une réforme globale de la fiscalité de l’épargne financière, de manière à ne plus défavoriser l’investissement en fonds propres ; (ii) une refonte et un approfondissement de certaines niches fiscales en les ciblant mieux sur le capital risque ; (iii) une modification à la marge de la composition des produits d’épargne existants. Selon les paramètres retenus, toutes ces options peuvent être mises en oeuvre à un coût nul pour les finances publiques.
1. Startups valorisées à plus d’un milliard de dollars.
2. Lorach N. (2016), « Un écart croissant entre l’âge moyen des principales capitalisations en France et aux États-Unis ».
3. Criscuolo C., Gal P. N. et Menon C. (2014), “The Dynamics of Employment Growth: New Evidence from 18 Countries”, OECD Science, Technology and Industry Policy Papers, No 14, OECD Publishing.
4. Faria A.P. et Barbosa N. (2014), “Does venture capital really foster innovation?”, Economic Letters, vol. 122, n°2. Gonzalez-Uribe J. (2013), Venture Capital and Innovation, Columbia UMI 3561218.
5. Gornall W. et Strebulaev I.A. (2015), “The economic impact of venture capital, the evidence from public companies”, Stanford University Graduate School of Business, Research Paper, n°15-55, novembre.
6. Ces chiffres sont ceux de Dow Jones Venture Source repris par EY (rapport Venture Capital Trends 2015). Il n’existe pas de définition harmonisée au niveau international de ce qui constitue le « capital-risque ». La différence de périmètre explique une partie importante de l’écart avec les chiffres donnés par exemple par InvestEurope (l’association européenne des investisseurs en capital-risque) et l’OCDE.
7. Anderson S. (2016), « Immigrants and billion dollar startups », NFAP Policy Brief, mars.
8. Cité par Ekeland M., Landier A. et Tirole J. (2016), « Renforcer le capital-risque français », Les Notes du Conseil d’analyse économique n°33.
9. Il s’agit du montant de la capacité de financement des ménages (source : Insee, Comptes nationaux)
10. Rapport annuel 2015 de l’Observatoire de l’Épargne Réglementée.
11. Ekeland et al., op. cit.
Aucun des documents publiés dans le cadre de ce projet
n’a vocation à refléter la position du gouvernement.