Deux options, qui ne sont pas mutuellement exclusives et qui sont susceptibles de se renforcer, sont envisageables pour dynamiser l’investissement à court terme : la France peut agir seule, ou bien porter la relance à l’échelon européen. Compte tenu de son niveau de dette publique déjà élevé et de ses engagements européens en la matière, la première option pourrait passer par une réorientation de la dépense publique et une amélioration de la qualité des investissements, des mécanismes de garantie publique ou une amplification du programme d’investissement d’avenir. Menée à l’échelon européen, une relance plus ambitieuse s’appuierait sur un budget supplémentaire dans le cadre d’une nouvelle initiative pour l’investissement, ou sur une capacité européenne d’emprunt dédiée.
Huit ans après être sortie de la récession, l’économie française progresse toujours nettement en-deçà du rythme moyen de 2,3 % par an qui était le sien entre 1995 et 2007. Aujourd’hui, de nombreux économistes et organisations internationales craignent que cette situation, qui dépasse le cas de la France, ne s’enracine et ne conduise à un affaiblissement durable du potentiel de croissance via des effets d’hystérèse (perte durable d’employabilité des personnes au chômage), ou une dégradation du stock de capital liée à un investissement insuffisant. Cette perspective est d’autant plus inquiétante qu’elle s’ajouterait à l’affaissement des gains de productivité et de la croissance potentielle déjà observé, qui affecte tous les pays avancés[1]. D’après les estimations de la Commission européenne, la croissance potentielle française serait ainsi passée d’une moyenne proche de 2,0 % dans la période d’avant-crise à 0,9 % ces dernières années.
Ce ralentissement est en réalité plus ancien que la crise et il touche l’ensemble des économies avancées. Il résulte avant tout de problèmes d’offre, qui limitent la capacité des entreprises françaises à profiter des opportunités de croissance sur les marchés extérieurs. En témoignent les pertes de parts de marché à l’international, la dégradation de la compétitivité-coût que le CICE (Crédit d’Impôt Compétitivité-Emploi) n’a que partiellement permis de corriger et le positionnement en gamme insuffisant de la France[2]. À ces facteurs d’offre s’ajoutent, depuis la crise, la faiblesse de la demande interne qui se traduit par un PIB encore en-deçà de son potentiel[3] et le maintien d’un volant de chômage conjoncturel.
L’amplification des investissements publics pourrait permettre de répondre à la fois aux problèmes d’offre à l’origine du ralentissement de la croissance et de soutenir la demande. L’OCDE et le FMI ont récemment appelé à agir en ce sens[4], mettant en garde contre les risques d’une stagnation durable. Le moment paraît d’autant plus opportun que l’action des banques centrales permet à de nombreux États d’emprunter à un coût extrêmement bas.
Cependant, même s’il a reculé de près de 10 % depuis 2008, l’investissement public[5] reste en France à un niveau nettement supérieur à celui de la moyenne des pays européens (3,4 % du PIB contre 2,7 %), en particulier de l’Allemagne (2,2 %) et du Royaume-Uni (2,6 %). Comparativement à nos partenaires, la France est également relativement bien dotée en infrastructures de qualité[6]. Dans ces conditions, le risque est que l’augmentation de l’investissement public conduise à financer des projets dont la rentabilité socio-économique serait faible.
C’est pourquoi l’enjeu pour la France est d’abord de parvenir à sélectionner les investissements publics susceptibles d’entraîner l’investissement privé, dont l’effet sur l’amélioration de la productivité et du potentiel de croissance à long terme est avéré, et qui ne se traduiraient pas par un alourdissement futur du déficit lié aux dépenses de fonctionnement. Ceci plaide pour un investissement tourné vers les besoins d’avenir comme la transition énergétique (rénovation thermique des bâtiments, transports urbains propres, infrastructures nécessaires au véhicule électrique), le déploiement des infrastructures numériques, le financement du capital risque ou encore l’enseignement supérieur et la recherche. Certains postes de dépenses courantes comme le soutien à l’innovation, la santé et l’éducation, ne répondent pas à la définition comptable de l’investissement, mais devraient être inclus dans ce cadre dès lors qu’ils présentent la caractéristique d’accroître le potentiel de croissance du pays.
Naturellement, ces investissements n’ont pas tous vocation à être intégralement pris en charge par le secteur public, mais celui-ci peut jouer un rôle de catalyseur, là où le rendement privé est trop faible ou le risque trop élevé pour que les projets soient spontanément financés. Par exemple, dans le cas de la transition énergétique, l’investissement public a sans doute un rôle d’accélérateur à jouer, étant donné la faiblesse actuelle du prix du pétrole et de celle du prix des permis d’émission carbone, qui n’incitent pas à l’investissement privé.
Face à la nécessité de soutenir la croissance potentielle et de préparer l’avenir, la France doit choisir une orientation pour sa stratégie d’investissement au sens large. Le consensus des économistes sur l’utilisation de la politique budgétaire dans un contexte de stagnation de l’activité est à ce propos en pleine évolution[7].
Deux options s’offrent au pays pour améliorer et dynamiser l’investissement à court terme : (i) agir seul et utiliser pour cela toutes les marges que permet le cadre européen actuel ; (ii) mobiliser les pays partenaires pour une relance de l’investissement plus ambitieuse à l’échelon européen.
1. Voir Jaubertie A. et Shimi L. (2016), « Où en est le débat sur la stagnation séculaire ? », Trésor-Éco n°182.
2. Voir pour un bilan complet Sode A. (2016), “Compétitivité : que reste-t-il à faire ? », Enjeux 2017-2027, France Stratégie.
3. L’ « output gap » serait de l’ordre de −1,4 point de PIB en 2016 d’après les estimations de la Commission européenne.
4. OCDE (2016), « Using the fiscal levers to escape the low-growth trap », Chapitre 2, OECD Economic Outlook, Issue 2 ; FMI (2016), World Economic Outlook, October : Subdued Demand, Symptoms and Remedies.
5. Au sens de la comptabilité nationale, c’est-à-dire la formation brute de capital fixe (acquisitions nettes des cessions d’actifs fixes corporels ou incorporels − brevets, etc. − issus de processus de production et utilisés de façon répétée ou continue dans d’autres processus de production, compte non tenu de la dépréciation du capital).
6. Voir Cour des Comptes (2015), « La situation et les perspectives des finances publiques », rapport annuel ; Douillard P., Janin L. et Lorach N. (2014), « Y a-t-il un retard d’investissement en France et en Europe depuis 2007 ? », La Note d’analyse n°16, France Stratégie.
7. Voir Furman J. (2016), « The New View of Fiscal Policy and Its Applications », mimeo.
Aucun des documents publiés dans le cadre de ce projet
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