Cette politique d’attractivité des talents étrangers peut susciter des interrogations dans les sociétés d’accueil : même temporaire, cette forme de migration conduit certains migrants à s’installer durablement et est donc perçue comme un flux migratoire à contrôler. Tous les pays s’efforcent ainsi de concilier volonté d’attractivité et politique migratoire, tension qui se résout de façon différente en Allemagne, en France ou au Royaume-Uni.
Le vivier des travailleurs qualifiés issus des étudiants étrangers n’est pas identique dans les trois pays. Les niveaux, les filières et les domaines d’études qui attirent principalement les étudiants étrangers dépendent des formations accessibles dans le pays, souvent en lien avec ses spécialités productives. Les étudiants étrangers sont par ailleurs proportionnellement plus nombreux aux niveaux master et doctorat que les natifs, en France comme au Royaume-Uni mais non en Allemagne. En ce qui concerne leur choix de filière, ils apparaissent surreprésentés en droit et en gestion en France et au Royaume-Uni et, dans les trois pays, en sciences et ingénierie, par rapport à la distribution moyenne des spécialités de formation. L’origine géographique des étudiants étrangers accueillis reste liée dans les trois pays aux aires d’influence traditionnelles, mais les flux en provenance des pays émergents d’Asie et d’Amérique latine s’accroissent continûment. Les étudiants étrangers maîtrisent pour partie la langue du pays d’accueil et proviennent principalement de pays avec lesquels les partenariats économiques sont en développement. De ce fait, les étudiants étrangers représentent dans les trois pays, et particulièrement en France, de potentiels travailleurs immigrés qualifiés dont l’insertion professionnelle devrait a priori être relativement aisée.
Attirer les talents étrangers ne revêt pas la même acuité pour les marchés du travail dans les trois grands pays européens. Alors que le Royaume-Uni et la France bénéficient d’une main-d’œuvre qualifiée et ne se trouvent pas dans une situation démographique défavorable à court terme, l’Allemagne est confrontée à un défi démographique et éducatif plus profond et présente un besoin de main-d’œuvre étrangère qualifiée plus conséquent. Privilégier le changement de statut des étudiants étrangers vers un titre à motif professionnel par rapport à l’accueil de migrants qualifiés à l’issue de leur formation dans leur propre pays semble pertinent, en particulier en Allemagne et en France, où l’obtention d’un diplôme national et la réalisation d’un stage pratique pèsent fortement sur les chances d’insertion professionnelle.
L’installation des étudiants étrangers dans le pays de leurs études ne dépend pas simplement de l’adéquation entre leur formation et les besoins du marché du travail. S’ajoutent à cette vision macroéconomique les projets des étudiants eux-mêmes et leur confrontation aux politiques administratives appliquées en matière de changement de statut. Si une majorité des étudiants étrangers aspire à rester temporairement pour une première expérience professionnelle dans les trois pays, seule une fraction minoritaire y parvient. Ceux qui veulent rester le font essentiellement pour des raisons professionnelles. Pour autant, en France comme en Allemagne, les changements de statut administratif pour motifs familiaux restent plus nombreux qu’au Royaume-Uni. En définitive, les nationalités les plus représentées sur le marché du travail sont souvent celles dont les effectifs d’étudiants étrangers sont les plus importants, mais le rôle des diasporas est également déterminant pour la France et le Royaume-Uni. Accueillir des étudiants étrangers de tel ou tel pays revient donc bien à développer des liens économiques, par l’immigration professionnelle, avec ces pays.
De plus, les étudiants étrangers constituent une voie d’immigration qualifiée mieux insérée sur le marché de travail que celle des migrants arrivés après leurs études, qui souffrent de taux de chômage élevés, d’une forte précarité et d’une concentration sur des activités peu innovantes. Cette segmentation s’atténue fortement pour les étudiants étrangers restés travailler dans le pays d’accueil dont ils contribuent à développer l’attractivité et la compétitivité, en étant majoritairement employés dans des secteurs porteurs. Cela traduit leur plus grande facilité d’insertion, ce qui n’est pas toujours le cas de ceux qui ont obtenu un diplôme dans leur pays d’origine, notamment en Allemagne et en France. En revanche, au Royaume-Uni, l’obtention d’un diplôme supérieur est une garantie plus faible qu’en Allemagne et en France de s’insérer sur le marché du travail, les immigrés qualifiés arrivés après leurs études supérieures s’insérant plutôt mieux.
En définitive, l’équilibre à définir pour accueillir en France les talents étrangers après leur formation devrait prendre en considération l’atout que constitue la population des étudiants étrangers dans le développement d’une main-d’œuvre qualifiée. Ces étudiants, plus formés que les natifs et dans des domaines plus professionnalisés, aspirent à s’insérer temporairement en France. Ceux qui souhaitent s’y installer durablement y parviennent bien souvent par le biais du travail ou pour des raisons familiales ; ceux qui souhaitent rester temporairement sont parfois confrontés à de fortes difficultés administratives. Sans constituer une nécessité impérieuse pour une France dont l’évolution démographique est favorable et dont le niveau de qualification de la population est déjà élevé, l’accueil plus large de diplômés étrangers pour une première expérience professionnelle pourrait nourrir des secteurs d’activité importants et contribuer à développer les liens économiques avec les pays émergents.
Du côté des étudiants étrangers et des pays d’origine, un équilibre est également à trouver. Les jeunes partis pour étudier à l’étranger aspirent fréquemment à acquérir une première expérience professionnelle pour mettre en application la formation suivie. Ce faisant, ils créent des liens avec le pays d’accueil et cherchent, pour une partie d’entre eux, à s’y installer de façon plus durable. Or, les pays d’origine ont tout à gagner à voir leur jeunesse se former dans les pays les plus développés, mais surtout à revenir ensuite pour contribuer au développement économique et social. Si les pays émergents mènent des politiques proactives pour atteindre cet équilibre, les grands pays d’accueil ont une responsabilité cruciale dans la résolution de cette tension migratoire envers les pays les moins avancés, potentiellement les plus pénalisés par l’exode des cerveaux. Par leur politique d’attractivité, ils contribuent en effet à favoriser une forme d’installation plus ou moins temporaire des diplômés étrangers dans leur pays.
Sur la base d’une comparaison systématique des trois grands pays d’accueil en Europe, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, ce rapport explore ainsi les politiques publiques au service de l’attraction des talents étrangers sous une double contrainte : du côté de la France, concilier logique d’attractivité et logique migratoire pour améliorer in fine la transition du statut d’étudiant étranger vers celui de travailleur, au service de l’économie française ; du côté des pays d’origine, promouvoir une première expérience professionnelle nécessairement positive pour tous les diplômés étrangers, tout en favorisant le développement économique des pays les moins avancés, pour parvenir à un échange gagnant-gagnant entre la France et les pays d’origine.
- Avec la collaboration de la division Enquêtes et études statistiques, ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de Campus France