Note d’analyse

Décarbonation de l’acier et des métaux de base : envoyons les bons signaux

La production d’acier doit être décarbonée. À cette fin, le recyclage, bien moins émetteur que la production primaire (c'est-à-dire à partir de minerai), semble idéal. Mais les ferrailles sont déjà largement collectées et recyclées. Leur disponibilité dans le monde va croître, sans toutefois dépasser 50 % des besoins en 2050, soit très loin d’une circularité complète. La maîtrise des consommations d’acier et la décarbonation technologique de sa production primaire sont donc primordiales. En activant ces deux leviers, l'Europe jouerait un rôle pionnier et réduirait certaines de ses dépendances.

Publié le : 23/01/2025

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De nombreuses politiques climat privées ou publiques s’appuient sur des outils comptables qui favorisent l’acier à fort contenu recyclé. Dans un monde où la détermination à décarboner est encore inégale, ces outils tendent à rediriger les flux de ferraille vers les segments de marché couverts par ces politiques, aux dépens des leviers susmentionnés. Pourtant, certaines comptabilités et normes s’efforcent d’éviter ce biais. Leur développement permettrait de mieux inciter à réduire la consommation et à diminuer les émissions de la production primaire.

Au-delà de ce débat, la tarification du carbone devrait être considérée comme l’outil premier pour la décarbonation de l’industrie. Cependant, sa mise en œuvre européenne (ETS-1), avec le remplacement à venir des quotas gratuits par l’ajustement aux frontières (MACF), repose pour l’instant sur une comptabilité du carbone qui n’échappe pas au même écueil. Inchangée, elle tendrait, pour les grands métaux de base, à réduire largement l’ambition climatique européenne en une attraction des ferrailles et de leurs produits vers l’Europe.

L’urgence d’étendre le MACF aux produits aval est déjà largement reconnue. La faille identifiée ici devrait être ajoutée à la liste – comme le relève aussi le rapport Draghi. Répondre à cette « fuite de carbone » rendrait le MACF moins contournable, mais pas forcément plus complexe.

Introduction

L’expression « métaux de base » peut trouver plusieurs définitions. On l’utilise ici pour désigner les métaux dont le tonnage de production annuelle est le plus élevé ou dont la production mondiale entraîne le plus d’émissions de gaz à effet de serre. Selon ces critères, le fer est de loin le premier métal, principalement sous la forme d’aciers « carbone », c’est-à-dire conventionnels. On produit aujourd’hui dix fois plus d’acier que de tous les autres métaux réunis[1]. Au cœur des infrastructures industrielles, l’acier est un matériau de base pour le développement, l’urbanisation et la société de consommation, plus que pour la seule transition énergétique[2]. Si on y inclut l’extraction du minerai, l’industrie sidérurgique représente jusqu’à 3,7 GtCO2 d’émissions par an[3], soit environ 10 % des émissions mondiales de CO2 fossile[4], ce qui fait de sa décarbonation un élément essentiel de la lutte contre le changement climatique.

Le deuxième métal de base le plus émetteur est l’aluminium, avec des tonnages environ 17 fois inférieurs et des émissions totales trois fois inférieures[5]. Viennent ensuite les alliages d’acier au chrome et au nickel, dits aciers inoxydables. Notre analyse se concentre sur l’acier, compte tenu de sa prédominance. Elle passe en revue les principales caractéristiques de sa production et de sa future décarbonation, puis en examine les conséquences pour les politiques − privées ou publiques − de comptabilisation des émissions.

Acier primaire ou recyclé : deux voies complémentaires ? 

L’acier est recyclable. Sa production combine de l’acier « primaire », issu du minerai de fer, et de l’acier « secondaire », produit par recyclage.

Les hauts-fourneaux, voie de référence pour la production d’acier primaire

Le minerai de fer est constitué d’oxydes, combinant fer et oxygène : Fe2O3, Fe3O4, etc. Séparer ces atomes suppose de vaincre leur « énergie de liaison ». Les hauts-fourneaux sont aujourd’hui l’outil principal de cette opération. L’énergie est fournie par le charbon, agent « réducteur » des oxydes de fer. La recherche d’économies d’échelle a conduit à la création de hauts-fourneaux de très grande taille. Avec les nombreuses installations qui les entourent, ces derniers forment la « filière intégrée » et sont concentrés sur un nombre limité de très grands sites industriels (voir Figure 1).

Schéma - Production d’acier par la filière intégrée

Notes : ce schéma, où une filière intégrée incorpore les déchets post-consommation et fournit toutes sortes de produits, correspond bien à la situation en Europe  dans la période 1955-1975 ou en Chine jusqu’à récemment. Outre les éléments présentés ici, le processus consomme d’autres intrants (chaux, électricité) et génère  des sous-produits : gaz, « laitiers » qui peuvent être utilisés dans l'industrie du ciment, etc. 

Source : France Stratégie

En plus de produire de l’acier primaire, la filière intégrée réincorpore depuis l’origine des chutes d’acier générées en aval, issues par exemple de la découpe de tôles (voir Encadré 1). Facilement refondues grâce à la chaleur générée par le convertisseur à oxygène, ces chutes peuvent couvrir jusqu’à 20 % des volumes de production. En 2022, la filière intégrée représentait 72 % de la production mondiale d’acier[6].

Le terme « ferrailles » désigne à la fois les chutes neuves et les ferrailles post-consommation. Les deux peuvent être recyclées dans les mêmes procédés, mais présentent des différences : les chutes neuves sont générées au sein de l’industrie et sont presque entièrement recyclées ; les ferrailles post-consommation apparaissent de manière diffuse, après un temps fonction du produit dont elles proviennent. Environ 85 % des ferrailles post-consommation sont collectées[7]. Souvent contaminées par des éléments indésirables comme le cuivre, elles doivent en général être préparées. Le mix de ferrailles est ajusté dans chaque lot de production, selon les exigences de l’acier à produire.

Le recyclage, moins coûteux et moins émetteur que la production d’acier primaire

L’avènement de la société de consommation a augmenté les ferrailles disponibles (machines, véhicules, etc.), au-delà des quantités techniquement incorporables dans la filière intégrée. Une industrie de fours à arc électrique (EAF pour electric arc furnaces) s’est donc développée à partir des années 1970, d’abord en Italie et aux États-Unis, puis dans tous les pays d’industrialisation ancienne, pour refondre la ferraille. Les fours électriques peuvent aussi incorporer de l’acier primaire, sous forme de fer pré-réduit ou de hot-briquetted iron (HBI) (voir ci-après). En 2022, cette voie représentait 28 % de la production mondiale d’acier.

Outre l’électricité, les fours à arc électrique consomment du gaz et du charbon, pour fournir une partie de la chaleur et faciliter la formation du laitier, qui capte certains des éléments indésirables. Des aciéries électriques d’une capacité jusqu’à dix fois inférieure à celle d’un haut-fourneau peuvent être économiquement viables. Cela leur a permis de se disséminer sous forme de mini-mills produisant essentiellement des produits de construction (Encadré 2). Elles sont beaucoup plus nombreuses que les complexes géants de la filière intégrée.

La production d’acier primaire dans la filière intégrée coûte environ 500 à 600 euros par tonne d’acier brut[9], depuis la mine jusqu’à la coulée de l’acier, et émet environ 2,1 tonnes de CO2e par tonne d’acier[10]. Le recyclage de l’acier dans un EAF coûte seulement, au plus, 150 à 200 euros par tonne (hors coût de la ferraille) et émet environ 0,4 tCO2/t[11].

Les produits en acier peuvent être des produits plats, comme les tôles métalliques utilisées dans l’automobile, l'électroménager, la construction navale, les emballages, ou des produits longs, comme les poutres, fers à béton, rails et fils, utilisés principalement dans la construction. Les produits plats sont généralement fabriqués à partir de blocs d’acier brut (« brames »), plus larges que pour les produits longs, dans des installations de coulée et de laminage plus volumineuses. Les aciéries électriques ont donc pris en charge la demande de produits longs, laissant les produits plats à la voie intégrée. En outre, les produits longs tolèrent en général une plus forte proportion d’éléments indésirables issus des ferrailles post-consommation. À l’inverse, certains produits plats, notamment certaines tôles pour l’industrie automobile, présentent des exigences plus strictes. En Europe, la part des produits longs dans la demande a longtemps été proche de la part de marché « naturelle » de la filière électrique, telle que résultant de la disponibilité de ferrailles. Par conséquent, le pas consistant à étendre la filière électrique vers les produits plats n’a pas encore été franchi[8], et la correspondance entre les voies et les catégories de produits reste presque totale. 

Schéma | Structuration actuelle de la production d'acier, en Europe

Note : en gris clair figurent les flux de recyclage. 

Source : France Stratégie

Les ferrailles, une commodité internationale

Les ferrailles ont une valeur de marché, et font l’objet de cotations sur le London Metal Exchange (LME). Leur valeur résulte de la différence entre les coûts de production de l’acier primaire et les coûts de recyclage via la filière électrique (voir Figure 3 page suivante). La valeur relativement élevée de la ferraille couvre en général ses coûts de collecte, de tri, de préparation et de transport, ce qui explique que l’acier soit déjà largement recyclé, partout dans le monde. Par unité de masse, la ferraille (qui aujourd'hui vaut approximativement 300 euros par tonne) est moins chère que le pétrole (500-600 euros par tonne), mais nettement plus chère que le charbon, les céréales ou le minerai de fer, qui sont toutes des commodités mondiales transportées en vrac. La ferraille, dont le transport n’est pas plus coûteux, est donc elle aussi une commodité largement mondiale, même si les différences de qualité ou de localisation, l’état des stocks, les dynamiques de la demande ou des capacités de production et de transport entraînent comme il se doit des écarts de prix. En pratique néanmoins, la ferraille voyage aujourd’hui moins que les autres commodités[12], parce qu’il n’y a pas de très fort besoin de la faire voyager : dans toutes les régions du monde, la demande d’acier dépasse la génération de ferrailles.

Formation des prix de la ferraille

Notes : les prix de l’acier sont déterminés par les coûts de production de l’acier primaire. Le prix des ferrailles s’établit comme celui qui égalise les coûts de production  de l’acier recyclé avec ceux de l’acier primaire. La valeur des sous-produits de la filière intégrée a été soustraite du coût des matières premières. On suppose ici que  la filière intégrée n’incorpore pas de ferrailles et que la filière électrique n’incorpore que des ferrailles. 

Source : France Stratégie, sur la base des hypothèses de coûts précitées

La disponibilité en ferrailles post-consommation augmente

La production mondiale d’acier a fortement augmenté depuis 1950 (voir Figure 4). La disponibilité de ferrailles post-consommation croît donc elle aussi fortement, mais avec des volumes bien plus faibles ou, dit autrement, très en retard sur la production (voir Figure 5 ).

Graphique | Production mondiale d’acier brut depuis 1950

Lecture : la production mondiale d’acier brut est passée de 189 Mt/an en 1950  à 1 892 Mt/an en 2023, ce qui représente une hausse de 3,2 % par an en  moyenne. La forte augmentation depuis 2000 est principalement due au développement et à l’urbanisation en Chine, qui en 2023 représentait 54 % de la production mondiale.  

Source : World Steel Association (2024), World Steel in Figures - 2024.

Graphique | Évolution du flux de ferrailles post-consommation

Lecture : d’après l’analyse et les projections de World Steel, les ferrailles post-consommation ont atteint vers 1990 la  production brute d’acier de 1950 (+ 40 ans), et atteindraient en 2050 la production de  2002 (+ 48 ans). 

Source : World Steel Association (2021),  « Scrap use in the steel industry – Fact  sheet », mai

En 2019, les ferrailles post-consommation ne couvraient que 32 % des besoins mondiaux d’acier, d’après les chiffres de l’AIE[16] et en y appliquant le raisonnement présenté dans l’Encadré 3. Ce ratio devrait augmenter progressivement, notamment grâce à la disponibilité croissante de ferrailles post-consommation en Chine. À long terme, l’intégration croissante de ces ferrailles dans les aciers imposera un perfectionnement progressif de leur tri et de la gestion de la bonne « dilution » des éléments indésirables. Les coûts associés ne remettront toutefois pas en cause l'avantage économique intrinsèque du recyclage relativement à la production primaire.

Les statistiques de production publiées par l’association des sidérurgistes World Steel portent sur l’acier « brut ». Ce choix, qui permet de consolider des données fiables, implique un double compte[13] de la majorité de l’acier circulant sous forme de chutes neuves : une fois lors de sa production initiale et une deuxième fois lorsqu’il est réintégré dans le cycle. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a estimé[14] que les chutes représentaient jusqu’à 22 % des chiffres de production d’acier brut en 2019. Pour corriger les chiffres de cette boucle interne induite par les process de production, on peut rapporter le flux de ferrailles post-consommation à la quantité d’« acier dans les produits finaux »[15], qui correspond aux chiffres de production d’acier brut diminués du volume estimé de chutes présent dans ces chiffres.

Mais les ferrailles sont très inégalement réparties 

Les ferrailles post-consommation n’apparaissent en grande quantité dans un pays que lorsque l’industrie et surtout la société de consommation sont en place depuis suffisamment longtemps pour générer un flux important de machines usagées, de voitures, etc. Ainsi, les États-Unis, l’Europe et le Japon représentent encore la moitié environ de la production de ferrailles post-consommation, pour seulement 16 % de la production et de la consommation mondiales d’acier (voir Figure 5). À l’inverse, les pays « émergents » génèrent des quantités très faibles de ferrailles postconsommation par rapport à leur production d’acier.

Certains auteurs[17] y voient une injustice : grâce à leurs ferrailles, les pays du « Nord global » ont la possibilité de produire de l’acier sans ajouter trop aux émissions qui leur sont attribuées, à l’inverse des pays du Sud. Bien entendu, l’acier contenu dans la ferraille du Nord a été initialement produit par la voie primaire, avec des émissions passées qui permettront les faibles émissions de son recyclage futur − ce qui renvoie à la question des « émissions historiques » par pays. En effet, tant que les hauts-fourneaux restent la voie de référence pour la production primaire, chaque tonne de ferraille recyclée permet d’économiser un fort volume d'émissions − 1,63 tonne, selon la dernière estimation publiée par World Steel[18].

Graphique | Valeur implicite de la ferraille en matière d’émissions de CO2

Lecture : les émissions du recyclage de l’acier étant plus faibles que celles de  sa production primaire, les ferrailles ont une forte valeur pour la décarbonation. 

Source : France Stratégie

Décarboner le secteur de l'acier : oui, mais comment ?

Idéalement, un système fondé sur le « tout-recyclage » permettrait d’éviter la production d’acier primaire. On affirme volontiers que la génération de ferrailles post-consommation a toujours suivi la production d’acier de trente-cinq ans. Et d’aucuns en déduisent que pour évaluer le volume de ferraille généré en 2035 par exemple, il suffit de regarder la production d’acier d'environ trente-cinq ans. Si on en croit cette logique, il suffirait que la demande d’acier se stabilise pour que la production primaire devienne inutile quelque trente-cinq ans plus tard.

Cependant, la relation passée est due au fait que la production d’acier a augmenté de manière à peu près exponentielle jusqu’en 2019. Dans une telle situation, et si la distribution des durées de vie des produits mis en service une année donnée reste à peu près constante au cours du temps, alors la courbe de génération de ferraille post-consommation s’obtient par convolution de l’exponentielle de production par cette distribution… ce qui produit une autre exponentielle de même taux de croissance, et donne donc l’impression d’un décalage temporel constant. Mais rien n’assure la pérennité de cette relation : que la production d’acier quitte son exponentielle historique − ce qui est le cas, à l’échelle mondiale, depuis 2020 avec le net ralentissement de la construction en Chine − et la relation simpliste entre production d’acier et génération de ferrailles disparaît (voir Figure 7).

Ceci s’explique par la forte hétérogénéité des durées de vie des produits : un emballage en acier devient un déchet en moins d’un an quand les bâtiments[19] ont une durée de vie virtuellement infinie au regard des échéances souhaitées de la décarbonation[20]. L’acier stocké dans les infrastructures, peu visible dans la phase de croissance initiale − et dont la quantité est mal connue[21] −, devient central pour l’équilibre à long terme du système. Fondamentalement, tant que le volume total d’acier stocké dans l’économie − principalement dans les bâtiments et les infrastructures − continue d’augmenter, une production primaire d’acier doit venir couvrir cette croissance du stock.

Graphique | Croissance exponentielle et génération de ferrailles

Lecture : un modèle très simple, simulant uniquement la diversité des durées de vie de produits, transforme toute croissance exponentielle de la production d’acier en  une croissance exponentielle de la génération de ferraille, avec un retard – ici de trente-sept ans. Ce retard n’est pas seulement fonction des hypothèses de durée de  vie, il dépend aussi du taux de croissance. Lorsque la croissance exponentielle s’interrompt (tirets verticaux), le décalage temporel (courbe en violet) se met à dériver. 

Source : toy-model par France Stratégie

Le tout-recyclage reste une perspective lointaine 

Le très ambitieux scénario Net-zero emissions by 2050[22] de l’AIE, qui envisage des changements majeurs afin d’éviter que la production d’acier ne dépasse son niveau actuel, prévoit que les ferrailles ne représenteront, à l’échelle mondiale, que 48 %[23] des intrants métalliques dans la production d’acier en 2050. Ce chiffre qui inclut les chutes neuves[24] équivaudrait à environ 42 % de la production finale couverte par les ferrailles post-consommation[25].

Même le scénario « high circularity » du Mission Possible Partnership[26], qui va jusqu’à envisager une réduction de la demande mondiale d’acier d’environ 20 % d’ici 2050, ne prévoit en 2050 que 45 % de ferraille dans les intrants.

Dans les pays d’industrialisation ancienne, le taux de couverture de la consommation d’acier par les ferrailles post-consommation est nettement plus élevé. En Europe (UE-27), par exemple, il est d’environ 56 % au maximum[27], mais aucune tendance à ce jour ne suggère une hausse de la génération de ferrailles post-consommation. De même, sur le périmètre du G7, le scénario Net-zero emissions by 2050 de l’AIE projette que les ferrailles passeront de 53 % des intrants dans l’acier en 2020 à seulement 60 % en 2050, chutes neuves comprises.

En fait, il s’avère presque impossible de dessiner des scénarios « circularisant » totalement l’acier dès les prochaines décennies, même à la seule échelle européenne[28]. En particulier, allonger les durées de vie des produits[29], à nombre de produits constant, ou des bâtiments[30], n’augmente pas la circularité du système : cela réduit la demande d’acier, mais tarit dans le même temps le flux de ferrailles post-consommation, laissant le reste à couvrir par la production primaire peu ou prou inchangé.

La décarbonation de la production primaire d’acier est donc incontournable. Les exigences de qualité renforcent ce point : certains usages requièrent des aciers particulièrement purs, difficiles à produire à partir des seules ferrailles post-consommation.

Décarboner la sidérurgie primaire est possible − mais cela suppose des transformations profondes 

La production d’acier primaire a longtemps été considérée comme un secteur difficile à décarboner (hard-to-abate en anglais). Cela tient peut-être à la convention qui classe les principales émissions de la voie intégrée comme des émissions « de procédé » plutôt que « énergétiques » − une distinction fragile, puisque le charbon, un vecteur énergétique, est brûlé dans un procédé impliquant de la chaleur, pour briser l’énergie de liaison contenue dans les molécules du minerai.

L’analyse technique[31] conduit en fait à relativiser l’étiquette hard-to-abate[32]. Mais il reste vrai que, au-delà de quelques actions facilement rentables, la décarbonation de la production primaire d’acier n’a pas encore commencé à grande échelle. C’est que cette transformation représente un coût, surmontable mais bien réel : les hauts-fourneaux doivent être remplacés par des installations qui restent à construire et qui devront être alimentées par une énergie généralement plus coûteuse que le charbon. Le surcoût peut atteindre +50 % sur l’acier brut, même s’il est ensuite largement dilué à l'échelle d'un produit final. Il représenterait +1 à +2 % pour une voiture[33] ; à quoi il faut toutefois ajouter le coût de décarbonation des autres matériaux − puisqu'il ne s'agit évidemment pas de décarboner l'acier seulement. Concernant l'acier, les coûts supplémentaires peuvent représenter 100 à 200 euros par tonne de CO2 évitée[34]. Ces montants restent raisonnables, mais appellent de fortes incitations à la décarbonation, que ce soit via la tarification du carbone, le consentement à payer des acheteurs, etc.

En outre, la transformation ne se résume pas à déployer dans les aciéries des technologies disponibles sur étagère.

Tout d’abord, elle s’étend jusqu’aux mines, car les procédés bas-carbone exigent des minerais de meilleure qualité, ce qui peut nécessiter par exemple l’ajout de procédés de concentration de minerai[35]. Certaines technologies doivent par ailleurs être mises à l’échelle, comme les fours « à arc submergés » qui étendent la gamme des qualités de minerai éligibles à la réduction directe, la capture et stockage de CO2, les électrolyseurs de production d’hydrogène, etc. Des succès dans le développement de certaines innovations de rupture, comme l’électrodéposition du minerai (electrowinning), seraient hautement souhaitables.

Ces points rappellent combien il est essentiel que les voies bas-carbone prennent une part significative de la production primaire d’acier dès que possible, afin de développer rapidement les innovations technologiques mais aussi l’expérience en matière de marchés et de cadre régulatoire qui servira à la décarbonation profonde du secteur.

La décarbonation de l’acier primaire pourrait aller de pair avec des délocalisations d’un maillon de la chaîne de valeur 

Alors que le charbon, énergie relativement peu coûteuse, peut être acheminé vers n’importe quel port industriel, l’acier primaire bas-carbone repose sur des énergies qui ne sont peu coûteuses que dans certains pays : le gaz fossile pour la réduction directe du minerai avec captage et stockage du CO2 (CCS), l’électricité pour l’électrodéposition ou pour la production d’hydrogène en vue de la réduction directe du minerai. D’où l’idée de placer les installations de réduction du minerai de préférence là où ces énergies sont le plus abordables. Cela pourrait conduire à des schémas[36] où la réduction du minerai serait réalisée dans les pays miniers puis ce fer pré-réduit serait transporté en vrac sous forme de hot-briquetted iron pour être fondu[37] dans les sites intégrés actuels, qui conserveraient les étapes d’affinage, de coulée et de laminage. Un tel schéma tirerait le meilleur parti à la fois des énergies à faible coût là où elles sont accessibles et des infrastructures de coulée et de laminage existantes sur les sites intégrés historiques, qui sont des actifs majeurs, servant de larges chaînes de valeur à leur aval. Il réduirait aussi les tonnages à transporter, par rapport à la logistique actuelle du minerai et du charbon.

Pour l’Europe, des questions restent à débattre : dans quelle mesure l’approvisionnement en acier primaire passera-t-il ou devra-t-il passer par de tels schémas ? Et comment maîtriser le risque que ces schémas ne mènent à des délocalisations plus larges, emportant aussi les activités de coulée et de laminage ?

Réduire les consommations d’acier, un levier souvent négligé de la décarbonation 

Si l’acier ne peut être entièrement « circularisé » à horizon prévisible, réduire la demande d’acier primaire − c’est-à-dire maîtriser la croissance du stock de produits en acier − constitue un axe de décarbonation valide. Cette approche peut s’appliquer à tous les produits en acier, mais sa pertinence grandit avec la durée de vie de ces produits. C’est particulièrement le cas des bâtiments et infrastructures, qui représentent 52 % de la demande mondiale d’acier[38], principalement pour le béton armé et les structures métalliques.

Quand des consommations d’acier sont évitées par sobriété ou par « efficacité matière » (conceptions optimisées, modes de construction économes, révisions de normes, etc.), le gain pour la décarbonation va de soi. Lorsque l’acier est évité par usage d’autres matériaux, les émissions associées doivent être comparées. Aucun métal ne fera mieux que la fonte ou l’acier, en phase de fabrication[39], mais la substitution par le bois, la pierre, la terre, etc., est généralement souhaitable[40].

Dans les économies pauvres en ressources primaires, comme l’Europe, réduire les consommations d’acier améliore la balance commerciale[41] et peut transférer de la valeur vers des activités comme l’ingénierie des structures ou la production de matériaux géosourcés ou biosourcés, moins intensément exposées à la concurrence internationale que ne l’est la sidérurgie primaire. Dans tous les cas, la pression sur les ressources minières s’en trouve allégée.

Le potentiel de réduction des émissions par la maîtrise des quantités d’acier est difficile à estimer, et plus encore les coûts associés, car ils résultent d’une somme d’actions multiples. En 2021, dans les scénarios de l’AIE[42], l’efficacité matière représentait 40 % des réductions d’émissions apportées par le scénario « développement durable », par rapport au scénario business-as-usual. Au-delà de ce type de scénarios, qui reposent principalement sur des améliorations incrémentales, la recherche de ruptures technologiques semble beaucoup moins développée pour la réduction des consommations d’acier que pour la décarbonation de sa production primaire. Or de telles avancées pourraient voir le jour pour certains usages (voir Encadré 4).

Les fers à béton représentent de forts volumes d’acier pour un usage homogène. Cela restera le cas même après prise en compte de la nécessité, pour la décarbonation, de modérer l’usage des ciments et bétons.

Dans cet usage, des alternatives à l’acier existent déjà : des armatures en composites fibre-résine[43] sont utilisées dans certains cas, notamment pour leur résistance à la corrosion (environnement marin, exposition aux sels de déneigement, etc.). À ce jour, leur contenu carbone semble être d’environ 0,7 kgCO2/kg d’acier remplacé[44], soit nettement moins que l’acier primaire auquel elles pourraient indirectement se substituer. Le coût actuel des armatures est légèrement supérieur pour les composites que pour l’acier, et les deux solutions diffèrent aussi en termes de praticité sur les chantiers (généralement en faveur de l’acier, plus facile à travailler) et de longévité (en faveur des composites). Ces éléments suggèrent que ces alternatives, si elles réussissent leur mise à l’échelle, seront susceptibles − après normalisation[45] − de prendre place dans un mix économiquement rationnel de leviers de décarbonation de l’acier.

D’autres exemples pourraient être recherchés concernant les mâts d’éoliennes, les châssis de camions, etc.

La comptabilité du carbone devraient être davantage alignée avec une décarbonation mondiale

La plupart des politiques de décarbonation reposent sur des communications environnementales de deux ordres : à l’échelle des produits, avec les déclarations environnementales de produit (DEP[46]) qui renseignent sur le contenu carbone, en équivalent CO2, tel qu’obtenu par analyse du cycle de vie (ACV) ; et à l’échelle de l’organisation, par la mise en œuvre de communications environnementales telles que les rapports RSE, certaines actions de marketing, etc.

Certaines politiques publiques s’appuient sur les DEP. Par exemple, en France, la réglementation RE 2020 plafonne les émissions de gaz à effet de serre de la plupart des bâtiments neufs, telles qu’évaluées entre autres via les DEP des principaux composants. En pratique, les DEP utilisées[47] font apparaître des émissions d’autant plus faibles que le produit est fabriqué à partir de matière recyclée : dans le cas de l’acier, environ 0,4 tCO2/t, pour un acier à forte teneur en ferrailles et avec un four à arc électrique (EAF) alimenté par une électricité peu émissive. De même, dans les reportings d’entreprise, s’appuyer sur de l’acier recyclé plutôt que primaire permet de déclarer des émissions significativement plus basses. Les secteurs et les entreprises[48] expriment donc, en général, une préférence pour le métal recyclé partout où c’est techniquement possible[49]. Ils y sont d’autant plus incités que le consommateur final est lui aussi susceptible de préférer les produits promus comme à fort contenu en matériau recyclé, sans trop s’interroger sur les progrès réels par rapport aux habitudes antérieures en matière de production ou de consommation.

La concurrence pour la ferraille est essentiellement un jeu à somme nulle 

L’acier en fin de vie étant déjà largement recyclé[50], il y a peu de marges pour mobiliser des quantités supplémentaires. La course à l’approvisionnement en ferraille[51] − en France et en Europe, l’intérêt des grands acteurs pour les centres de collecte et de tri de ferraille a fortement augmenté −, restera essentiellement un jeu à somme nulle[52] : elle ne pourra mobiliser que de faibles quantités supplémentaires de ferraille. Comme le consentement à payer pour l’acier recyclé varie considérablement d’un acteur à l’autre, la compétition pour les ferrailles risque même de provoquer des spécialisations des flux d’acier, engendrant des coûts sans gain pour la décarbonation de la sidérurgie dans son ensemble.

Les méthodes de reporting les plus courantes occultent l’effet décarbonant de la maîtrise des consommations et des contributions à l’essor de l’acier primaire bas-carbone 

Certains consommateurs d’acier voient leur demande satisfaite par de l’acier recyclé. Dans le cas européen, il s’agit principalement des consommateurs de produits longs, pour les raisons contingentes présentées dans l’Encadré 2 ; mais aussi, de plus en plus, des consommateurs de produits plats qui, dans le cadre d’une politique de décarbonation, se seront assurés un approvisionnement en acier recyclé. Le reporting des émissions tel qu’il est le plus souvent pratiqué leur indique que la décarbonation a largement été accomplie. Il ne parvient donc pas à transmettre le message que, s’ils parvenaient à réduire leur consommation d’acier, ils libéreraient des ressources en ferraille, qui iraient alors se substituer, ailleurs, à des productions primaire carbonées.

En particulier, l’activation des potentiels de réduction de la consommation d’acier dans le secteur de la construction, qui sont probablement les plus importants, se trouve ainsi entravée.

De la même manière, les DEP telles que pratiquées aujourd’hui ont rendu les aciéristes de la filière à arc électrique réticents à incorporer une dose de fer pré-réduit (DRI ou HBI) dans leurs intrants[53]. Cela va à l’encontre de la décarbonation : même lorsque du DRI ou HBI bas-carbone sera disponible, il présentera des émissions résiduelles, ce qui le rendra, du point de vue des DEP telles que pratiquées aujourd’hui, moins attractif que la continuation du mix matières actuel, constitué presque entièrement de ferrailles.

Des méthodologies de comptabilisation des émissions compatibles avec une décarbonation mondiale de l’acier ont été proposées 

Depuis les années 1990, l’association professionnelle World Steel[54] abrite des travaux méthodologiques[55] sur les analyses de cycle de vie de l’acier, s’inscrivant dans le cadre des normes ISO 14040 et 14044[56]. Ces travaux préconisent[57] des ACV dites « du berceau à la tombe », recyclage inclus, et en cadrent la méthodologie. Ils supposent explicitement que la ressource en ferraille restera limitée, ce qui conduit à la formule A ci-dessous[58].

Formule A

ACV « recommandée par les experts rassemblés par Worldsteel » = ACV « standard » + (ferraille consommée à la fabrication -ferraille relâchée en fin de vie )  x (ACV Haut fourneau – ACV EAF) 

Cette analyse de cycle de vie d’un produit débute avec les éléments déjà pris en compte par les ACV classiques, soit notamment les émissions de l’aciérie, qu’il s’agisse d’un site intégré ou d’un EAF, les émissions des procédés supplémentaires intervenant dans la fabrication du produit, etc. Elle ajoute un autre terme, lié à la quantité nette de ferraille consommée au cours de la vie du produit (ou, à l’inverse, produite au cours de sa vie, si le produit génère plus de ferraille en fin de vie qu’il n’en a utilisé lors de sa fabrication). Cette quantité est multipliée par la valeur de la ferraille en matière de CO2.

Cette ACV étendue reflète la rareté de la ferraille en considérant son utilisation par un produit comme une charge environnementale (pour les autres produits, qui n’ont alors pas eux-mêmes accès à cette ferraille), et en valorisant la ferraille restituée en fin de vie d’un produit (sa réincorporation dans l’industrie sidérurgique permettra alors d’éviter des émissions). Comme le soulignent les travaux de World Steel, cette méthodologie est conforme aux dispositions sur le recyclage de la norme ISO générale (voir ISO 14044, point 4.3.4.3.3). Elle correspond même à « l’expansion de système », méthode privilégiée par la norme (dans son point 4.3.4.2, cas a2) lorsqu’apparaissent des co-produits – ici, la ferraille.

Cette ACV ne considère pas un produit issu d’acier recyclé comme intrinsèquement plus « vertueux » qu’un produit issu d’acier primaire. Mais elle valorise un produit qui peut être recyclé, par rapport à un produit qui « perdra » la matière acier. Elle fournit des résultats sensiblement différents de ceux des ACV et DEP plus répandues, qui penchent pour l’utilisation de ferraille ; et, à l’inverse de celles-ci, elle est cohérente avec une décarbonation mondiale. Elle est également cohérente avec les démarches entreprises pour promouvoir des DEP plus complètes, notamment la méthode PEF (product environmental footprint) de la Commission européenne[59] et sa « Circular footprint formula » ; et avec le « module D » informatif des normes ISO 21930 et EN15804+A2 encadrant les DEP des produits de construction.

Toutefois, la méthodologie a été établie avant que les conséquences de l’Accord de Paris ne soient pleinement tirées : à ce jour, elle peut permettre à un produit d’afficher une empreinte carbone réduite sur la base de son recyclage dans un avenir lointain, comme si ce recyclage allait éviter une production primaire en haut-fourneau − alors qu’à terme, toute production en hauts-fourneaux devrait avoir disparu[60]. Ce point mérite à l’évidence d’être travaillé.

Introduire la valeur en CO2 des ferrailles dans les calculs d’empreinte carbone permettrait des comparaisons pertinentes entre matériaux 

Pour « éco-concevoir » un produit complexe (une voiture, un bâtiment, etc.), il faut commencer par examiner le choix des matériaux. Ceci ne peut se faire sans facteurs d’émissions, issus d’ACV renseignant les kilos de CO2 pour chaque kilo des principaux matériaux utilisés[61]. Dans cet esprit, la formule B ci-dessous présente la physionomie de calculs d’empreinte carbone cohérents avec une décarbonation mondiale. 

Formule B

Empreinte « cohérente avec une décarbonation mondiale » = Empreinte « habituelle » + ferraille consommée à la fabrication x (ACV primaire, actuelle - ACV recyclage, actuelle) - ferraille relâchée en fin de vie x (ACV primaire, future – ACV recyclage, future)

Elle part de la formule de World Steel, et s’affranchit de la limitation relevée ci-avant en distinguant les flux de ferraille présents et futurs : 

La ligne (a) représente les calculs d’ACV existants, laissés inchangés. 

La ligne (b) indexe le calcul sur la quantité de ferrailles incorporée, ce qui incite à la décarbonation plutôt qu’à la compétition pour les ferrailles. Elle est simple à calculer. Il revient aux autorités réglementaires et de normalisation de fixer la valeur en CO2 des ferrailles. Dans le cas de l’acier, les diverses références convergent quant à cette valeur − qui peut toutefois légèrement dépendre du périmètre considéré. Pour les autres métaux, elle reste à fixer. 

La ligne (c) se concentre sur le recyclage post-consommation du produit. Elle est indifférente à l’origine, primaire ou recyclé, du métal dont le produit est fait. Elle est susceptible de modérer l’augmentation d’empreinte provoquée par la ligne (b). Cette ligne concentre les dicultés. Pour la calculer, il faut d’abord estimer la durée de vie du produit, qui dans de nombreux cas est très incertaine, quoiqu’elle puisse être standardisée ; puis établir une valeur en CO2 de la ferraille décroissante dans le temps, depuis sa valeur actuelle jusqu’à presque zéro dans un avenir très lointain. Mais on manquera de bases objectives pour établir une trajectoire précise.

De plus, la ligne (c) produirait des paradoxes, puisque, toutes choses égales par ailleurs, une durée de vie raccourcie conduirait, d’après le calcul, à une empreinte carbone plus favorable. Ce résultat illustre l’incomplétude de tout calcul conduit à l’échelle d’un seul produit : par exemple, raccourcir la durée de vie d’une voiture implique a priori de fabriquer plus tôt la voiture qui la remplacera dans le parc[62], ce qui annule l’avantage d’une génération de ferraille plus précoce[63]. Plus généralement, il faut reconnaître que, étant donné l'horizon désiré de la neutralité carbone, un produit métallique mis en service aujourd'hui prend d'ores et déjà le risque de libérer sa ferraille post-consommation trop tard pour éviter alors une production primaire[64] fortement émissive. Ce sera d’autant plus vrai si on parvient à allonger la durée de vie des produits.

Ces points peuvent plaider, parmi les différents traitements possibles de la ligne (c), pour choisir de la supprimer pour la plupart des produits.

Au final, ces éléments conduisent à afficher des empreintes carbone plus élevées que dans les DEP actuelles − en particulier pour les composants et produits qui présentent habituellement un fort contenu en matière recyclée. Un tel changement serait toutefois nécessaire, si on souhaite prendre au sérieux le levier de maîtrise des consommations. Il ne suppose pas automatiquement de durcir les normes et engagements existants : les objectifs peuvent être corrigés à la baisse concomitamment au durcissement de la métrique, si on souhaite garder constant le niveau de contrainte que représente la norme ou l’engagement.

Au-delà de la comparaison entre matériaux, la formule ci-dessus vaut aussi, une fois le matériau sélectionné, pour l’étape suivante de l’éco-conception, à savoir l’optimisation de la quantité de matière : là aussi, économiser du métal épargnera in fine des ressources primaires, justifiant là aussi l’usage de chiffres plus élevés.

Les sliding scales, un outil pour les achats d’acier et pour le suivi de la décarbonation des organisations

Plus loin dans la chaîne de (l’éco-)conception viennent les choix d’approvisionnement pour chaque matériau. Pour cette étape, utiliser la formule ci-dessus reviendrait à privilégier toute source de métal primaire dont l’empreinte serait même à peine meilleure que la référence fixée par la « valeur en CO2 de la ferraille », sans garantie alors que les ferrailles disponibles trouveraient encore suffisamment d’exutoires[65].

C’est ici qu’interviennent les sliding scales, qu’on pourrait traduire en français par « échelles mobiles ». L’idée consiste simplement à faire déclarer quelle part du produit est issue de ferrailles, et à indexer les performances attendues sur cette part. Au-delà des produits, l’approche peut être appliquée à l’échelle d’un producteur d’acier[66].

Ainsi, quand l’AIE a été amenée en 2022, dans le cadre d’un rapport[67] remis aux membres du G7, à définir un « acier à émissions quasi nulles » que des politiques publiques pourraient favoriser, elle a introduit une sliding scale. La Figure 8 page suivante représente cette définition de « l’acier à émissions quasi nulles » (ici en vert foncé), sur laquelle certaines normes, telles que « LESS » (voir ci-après), s’appuient en définissant différents niveaux depuis les pratiques actuelles jusqu’à cet objectif à la manière d'un éco-score notant les produits, depuis une lettre « F » jusqu'à une lettre « A » (dégradé du violet au vert). Mais de multiples autres sliding scales sont possibles, et les lignes pointillées allant de l’orange au vert en fournissent un exemple. Là aussi, le dégradé de lignes peut être utilisé pour définir une notation des produits, à la façon d'un éco-score. Ou encore, une seule ligne peut être retenue, pour définir un objectif à respecter à compter de telle année, ou sur telle fraction d'un approvisionnement, etc.

Plusieurs démarches pionnières se sont placées dans le champ des sliding scales

  • La First Movers Coalition, lancée lors de la COP 26 à l’initiative de plusieurs États, utilise la définition de l’acier à émissions quasi nulles de l’AIE. Les entreprises membres de la coalition se sont engagées à ce qu’au moins 10 % de leurs approvisionnements en acier respectent cette norme d’ici 2030[68].
  • En 2022, l’initiative privée de certification Responsible Steel a introduit une sliding scale[69] dans la V2.0 de son « standard international », principalement destiné à certifier les sites sidérurgiques selon différents niveaux de performance.
  • En 2023, la Science Based Targets Initiative (SBTi), qui vise à définir des critères pour déterminer si la stratégie climat d’un producteur d’acier est alignée avec l’Accord de Paris, a élaboré un cadre[70] distinguant une trajectoire-cible pour l’acier 100 % primaire, et une autre pour le recyclage d’acier. Tous les sidérurgistes demandant la certification SBTi sont désormais tenus de publier chaque année la proportion de ferraille dans leurs intrants, et leur trajectoire d’émissions est indexée sur ce ratio.
  • En 2023, l’association des sidérurgistes allemands a établi un Low Emission Steel Standard (LESS)[71], destiné à faciliter les achats verts, et qui repose également sur la méthodologie de l’AIE et la définition de l’acier à émissions quasi nulles.

L’approche par les sliding scales n’en est pas moins à ce jour relativement confidentielle. Elle n'a pas non plus été étendue à d'autres métaux.

Ceci dit, réflexion et débats demeurent souhaitables quant au paramétrage de la partie droite (fort contenu recyclé) des sliding scales. L’objectif ne peut être d’empêcher tous produits à fort contenu recyclé ; et le paramétrage devrait probablement refléter des leviers de décarbonation réels. Par exemple, une exploitation flexible des fours à arc électrique, pour suivre au mieux les possibilités et besoins du système électrique, peut être un levier de décarbonation important[72], sans doute ignoré pour l’instant par les sliding scales.

Plus fondamentalement, on pourrait souhaiter que les sliding scales destinées aux fonctions d’achat explicitent davantage leur message de fond, et les préférences d’approvisionnement qui en découlent : par exemple, qu’un contenu 100 % recyclé reste préférable à tel approvisionnement primaire émissif, mais moins souhaitable que tel autre approvisionnement primaire bas-carbone, etc.

Graphique | Les sliding scales

Lecture : les aciers disponibles sur le marché peuvent varier à la fois selon leurs émissions de production (échelle verticale), et  selon la part de ferraille qu'ils incorporent  (échelle horizontale). Exprimer des préférences en matière d'approvisionnement revient  à tracer, dans cet espace à deux dimensions, une ou des lignes d'égale performance climatique. Les sliding scales se proposent  d'expliciter ces choix. Les lignes pleines  correspondent à des propositions tel le  standard LESS et les lignes pointillées à  d’autres propositions possibles.  

Source : illustration de France Stratégie,  d'après notamment AIE (2022), Achieving Net  Zero Heavy Industry Sectors in G7 Members,  rapport, mai

Les normes fondées sur des calculs d’empreinte carbone et autres sliding scales restent des outils de second rang, néanmoins fructueux 

Qu’on doive, à une certaine étape du processus d’écoconception, passer de calculs d’empreinte carbone corrigés de l’incorporation de ferrailles à des sliding scales ; que celles-ci ne puissent être entièrement déduites de données purement techniques ; ou que les politiques se fondant sur ces différents outils ne puissent facilement déclencher les marges de progrès − faibles, mais vraisemblablement existantes − en matière de collecte des ferrailles[73] sont autant d’indices que ces politiques restent de second rang. Par contraste, la tarification du carbone devrait dans l’idéal être la politique de premier rang pour la décarbonation de l’industrie. Nous examinons ci-après comment elle active les différents leviers de décarbonation des métaux de base, et notamment comment elle gère l’équilibre entre les matières primaires et recyclées.

Néanmoins, l’insuffisance actuelle de tarification du carbone, en niveau comme en étendue[74], laisse pour l’instant une large place aux sliding scales et aux empreintes de produits. S’agissant d’outils de second rang, leur paramétrage peut comporter une part d’interprétation. On avancera que ces outils donneront leur meilleur s’ils sont conçus : 

  • avec une vision globale et macroscopique de la décarbonation − ce qui interroge fortement les calculs d’empreinte carbone et DEP actuels, orientés « micro » ;
  • dans une perspective d’additionnalité relativement au statu quo ;
  • avec l’ambition d’intégrer la réduction de la demande parmi les leviers de décarbonation, donc de prendre en compte toute sa valeur lors de la comparaison de différents matériaux pour un même usage final.

La tarification du carbone dans l'Union européenne et le scrap loophole

En diffusant largement un prix du carbone uniforme, la tarification du carbone vise à agir simultanément sur tous les leviers de décarbonation, y compris chez les acteurs qui n’ont pas pris ou ne sont pas soumis à des engagements.

Tarification du carbone et valeur de la ferraille 

Sous tarification du carbone, les coûts des métaux primaires augmentent plus que ceux du recyclage de la ferraille, en raison de leur différence d’émissions. Comme la valeur de la ferraille est, en moyenne, déterminée par la différence de coûts entre ces deux voies, cette valeur doit théoriquement augmenter aussi. Dans le cas de l’acier, la hausse atteindrait environ 180 euros par tonne[75], en cas de prix du carbone élevés (voir Figure 9).

Figue | Effets théoriques de la tarification du carbone sur les coûts de l’acier

Lecture : si le prix du carbone est nul (extrémité gauche du graphique), la filière intégrée BF-BOF (hauts-fourneaux, ligne noire) est la voie de production primaire la  moins chère, tandis que les alternatives moins carbonées (lignes grise, bleue et orange) sont plus coûteuses. L’acier peut aussi être produit par recyclage, à un prix  moyen similaire, pour des raisons non techniques, mais d’équilibre de marché. Lorsque le prix du carbone augmente (en allant vers la droite du graphique), les  hauts-fourneaux finissent par devenir plus chers que les voies de production primaire moins carbonées. Mais, à prix de ferraille inchangé, la production par recyclage  revient bien moins cher que toutes les productions primaires. Pour rétablir les équilibres de marché, le prix de la ferraille doit fortement augmenter.  

Note : des subventions publiques élevées abaisseraient certaines des lignes du graphique, mais sans changer leur positionnement relatif, donc les résultats à retirer  de l'analyse. 

Source : calculs des auteurs ; données principales issues du modèle de coûts Mission Possible Partnership

En plus de modifier le classement relatif des productions primaires, la hausse des prix de l’acier peut encourager la réduction des quantités d’acier consommées. Et la forte augmentation des prix de la ferraille pourrait tirer à la hausse − peut-être de quelques pourcents[76] − le taux de collecte des ferrailles post-consommation. La tarification du carbone favorise donc bien tous les leviers de décarbonation. Elle a aussi des effets distributifs, depuis le consommateur vers les finances publiques (via les recettes de tarification du carbone), mais aussi vers le secteur de la collecte et du traitement des ferrailles, par l’augmentation du prix de la ferraille[77].

Que l’augmentation de valeur de la ferraille soit la même pour tous illustre que la tarification du carbone neutralise l’hétérogénéité d’ambitions entre secteurs et acteurs, du moins à l’intérieur du périmètre de tarification. Cependant, l’hétérogénéité de la tarification du carbone entre les juridictions crée le risque de fuites de carbone aux frontières.

Fuites de carbone et ajustement aux frontières de l’UE

Le système européen de quotas d’émissions industrielles (ETS-1), en place depuis 2005, porte principalement sur la production électrique et sur l’industrie. Le risque de fuites de carbone y est actuellement contré par l’attribution de quotas gratuits aux industries des matériaux de base, proportionnellement à leur production de ces matériaux (output-based allocation). Cette solution maintient l’incitation de ces producteurs amont à se décarboner (à production donnée, émettre plus de carbone fait acquitter des coûts plus élevés), mais présente l’inconvénient majeur d’effacer le signal-prix plus à l’aval, pour le reste de la chaîne de production-consommation.

Pour corriger ce défaut majeur, mais aussi pour réagir aux profits indus engendrés par certaines formules de calcul des quotas gratuits[78], pour répondre aux fuites de carbone résiduelles associées à des formules de quotas gratuits plus strictes[79] et augmenter les ressources des États membres via des recettes destinées au climat et au soutien à la transition énergétique, le règlement établissant le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) a été adopté par l’Union européenne en mai 2023. Le MACF rendra les importations intensives en carbone plus coûteuses − à moins qu’elles aient fait l’objet d’une tarification équivalente dans leur pays d’origine − et remplacera progressivement, de 2026 à 2034, les quotas gratuits.

Une faiblesse de la version initiale du MACF est bien identifiée. Ce « MACF 1.0 » couvre les importations de matériaux de base et des principaux produits mono-matériaux (jusqu’aux vis et aux écrous), mais pas ces mêmes matériaux lorsqu’ils sont intégrés dans des produits manufacturés plus complexes (voitures, etc.). Pour perdurer dans un contexte de prix du carbone désormais significatifs, le MACF devra vraisemblablement être révisé pour mieux inclure ces produits manufacturés[80]. Nous n’abordons pas ce sujet ici, et nous nous concentrerons sur le scrap loophole − le risque de fuites de carbone par importation de ferrailles.

Le secteur des métaux de base est riche en conflits commerciaux, domaine non couvert par le présent document. Notre analyse du MACF et des fuites de carbone s’entend « toutes choses égales par ailleurs ». Parmi ces autres choses peuvent figurer des pratiques déloyales sur le marché international et les contre-mesures adoptées en conséquence. Ces points non abordés ici n’en sont pas moins importants.

Le scrap loophole, ou la fuite de carbone par les ferrailles 

Le MACF 1.0 n’applique pas de droit à l’entrée pour les ferrailles[81], y compris pour les chutes neuves, qu’elles soient directement importées ou intégrées dans des produits importés. Il crée donc une incitation très forte à diriger la ferraille vers la consommation européenne, qui pourrait se traduire par les effets suivants.

Premièrement, quand des ferrailles sont aujourd’hui exportées, on pourrait assister à une réduction de ces exportations ou plutôt, et de manière moins souhaitable pour la valeur ajoutée localisée dans l’Union européenne, à une augmentation de la réimportation de ces ferrailles après traitement et tri. Cela vaut particulièrement pour la ferraille d’acier, dont une part significative (environ 16,5 %)[82] est exportée, en premier lieu vers la Turquie.

Deuxièmement, pour tous les métaux, l’absence de droit d’entrée pourrait permettre une hausse des importations de ferraille post-consommation, ou même, encore plus simplement, de chutes neuves. Dans le cas de l’acier, ces ressources auraient dans le passé été difficiles à intégrer à la production sidérurgique, mais les transformations en cours ou projetées sur les sites intégrés (extension des fonctions de réception et contrôle de la ferraille, installation de fours à arc électrique) permettront désormais de les intégrer dans la plupart des aciers européens.

Troisièmement, dans les pays tiers, on pourrait assister à des jeux de réallocation de ressources (resource shuffling) qui spécialiseraient certaines installations ou certains lots de production, en y maximisant la proportion de ferraille, afin de répondre à la demande européenne. Par exemple le home scrap, c’est-à-dire la fraction la plus en amont des chutes neuves, pourrait être refondue dans des usines dédiées, fournissant des produits semi-finis présentés comme faiblement émetteurs, selon les critères du MACF 1.0. Ou bien les chutes de fabrication, qui se présentent en plus grandes quantités encore, pourraient être dirigées vers ces mêmes usines. De tels schémas pourraient concerner tous les métaux de base, mais seraient probablement le plus rentables appliqués à ceux dont la production primaire présente les émissions par kilogramme les plus élevées : aluminium, aciers inoxydables riches en nickel, etc. Dans le cas de l’acier, la très forte surcapacité de production primaire attendue en Chine, induite par la conjonction d’une baisse lente de la consommation (après les années d’urbanisation très rapide) et d’une disponibilité croissante de ferrailles post-consommation, pourrait donner au resource shuffling une forme spécifique. La Chine elle-même ne permettra vraisemblablement pas que ses ferrailles soient largement exportées. Mais la disponibilité d’acier primaire à bas prix sur le marché mondial pourrait, outre les défis de compétitivité qu’elle cause à la production primaire européenne, inciter des pays tiers à recourir à cet acier pour leurs propres besoins, tout en valorisant leurs ferrailles sur le marché européen.

Au-delà du système de prix, tous ces mécanismes pourraient être, à divers degrés et avec différents effets secondaires, contrecarrés par des réglementations locales telles que des quotas[83] ou des interdictions. Mais la faible taille de la demande européenne en métaux de base, comparée à l’immense volume de ferrailles circulant dans l’économie mondiale, fait qu’il suffit que certains pays tiers réagissent aux incitations qui leur sont adressées pour que la composition de la consommation européenne de métaux de base se trouve bouleversée.

La génération de ferrailles en Europe couvre déjà, pour des raisons de dynamique des stocks, une part exceptionnellement élevée, en comparaison mondiale, des besoins domestiques. Il serait donc difficile, au-delà de la réduction des exportations actuelles, de justifier l’importation de quantités supplémentaires − d’autant plus que cela augmente les coûts associés aux enjeux de qualité qui, s’ils étaient le seul critère de décision, appelleraient plutôt à disperser la ferraille pour faciliter la dilution des impuretés[84].

Une fuite de carbone qui n’est pas sans conséquences 

Tous ces changements sont un jeu à somme à peu près nulle pour le recyclage de la ferraille, qui aura lieu de toute façon, mais un jeu à somme négative pour les émissions.

D’une part, ils limitent la transmission du prix du carbone (carbon cost pass-through), puisque les prix de la ferraille en Europe n’augmenteront que de ce qu’il faut pour couvrir les coûts de transport accrus et surmonter la réticence des pays tiers à se séparer de leur ferraille, soit très probablement bien moins que l’augmentation attendue des prix de la ferraille sous tarification du carbone. Cette moindre transmission du prix entraîne une moindre incitation à maîtriser la consommation de métaux de base, à améliorer la collecte et la préparation des ferrailles et à financer la production primaire bas-carbone.

D’autre part, ces changements réduisent le volume de production primaire de métaux soumise[85] à l’ETS européen, empêchant les réductions d’émissions que les ambitions climatiques de l’Europe auraient dû induire, que ce soit en développant la production bas-carbone sur son propre territoire[86] ou en encourageant, pour ses approvisionnements, le développement d’une telle production à l’étranger.

Enfin, ces deux effets affaibliraient la dynamique d’innovation, en Europe, dans les technologies qui seront ensuite indispensables pour, à bien plus grande échelle, décarboner l’approvisionnement mondial en métaux de base.

Vers un ajustement carbone sur les ferrailles 

D’abord signalé par l’industrie de l’aluminium[87], le scrap loophole est bien identifié dans le récent rapport Draghi, qui recommande de « résoudre les failles subsistant dans les calculs d’empreinte carbone, telles que la présomption d’émissions nulles pour les matières recyclées, dans le MACF[88] ». Ceci implique de rétablir les signaux économiques et environnementaux pertinents, via des valeurs en CO2 des ferrailles des différents métaux de base couverts par le MACF (acier, fonte, inox et aluminium). La compatibilité d’un tel ajustement avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce mérite attention.

Taxer la collecte de ferrailles opérée en Europe assurerait cette compatibilité, mais cela reviendrait à renoncer à de probables gisements supplémentaires de ferrailles, dont la collecte serait économiquement justifiée. Une telle décision n’est donc pas souhaitable, sauf à ce que des considérations juridiques et politiques en fassent une solution de dernier recours pour permettre l’ajustement sur les importations de ferrailles.

Il serait autrement plus préférable de convaincre de la légitimité d’un ajustement sur les ferrailles non doublé d’une mesure interne. Outre l’objectif de décarbonation porté par l’ETS, l’argumentaire pourrait reposer sur le souhait de ne pas induire de concentration excessive en Europe de cette ressource limitée[89] que sont les ferrailles. Il serait grandement favorisé par un maintien de l’actuelle approche ouverte aux importations de métaux de base bas-carbone[90].

Dans l’attente, le scrap loophole appelle à suivre de près le solde des flux de ferrailles, y compris celles incorporées dans des produits, à la frontière du système d’échange de quotas d’émission, pour les métaux de base couverts par le MACF (fontes, aciers, aciers inoxydables et aluminium).

Vers un MACF plus cohérent avec les mécanismes de marché… donc plus élevé ? 

L’incapacité du MACF 1.0 à prévenir les fuites de carbone par importation de ferrailles découle de la divergence entre la transmission, dans l’économie de marché, du signal-prix de l’ETS, qui se produit spontanément sur un mode « marginaliste » ou « conséquentialiste » ; et le raisonnement « en moyenne » ou « attributionnel » de la plupart des calculs d’empreinte carbone de produits, dont le MACF 1.0 semble s’inspirer.

En fait, les métaux de base ne sont pas le premier secteur où cette divergence apparaît. Le phénomène est depuis longtemps connu dans le secteur de l’électricité, où les prix et les émissions marginaux, fortement influencés par la production à base de combustibles fossiles[91], peuvent être très différents de leurs valeurs moyennes.

Cela a conduit le MACF 1.0 à fixer des valeurs par défaut[92] élevées pour les importations d’électricité, fondées sur la seule production fossile, et des conditions[93] extrêmement restrictives pour revendiquer des valeurs d’émissions différentes. Pour les « émissions indirectes » (électricité intégrée dans les produits importés), le MACF n’a pas tranché à ce stade entre une approche en moyenne ou marginaliste[94]. Il reconnaît qu’il « convient de définir plus précisément la méthode spécifique afin de parvenir à la meilleure manière de prévenir la fuite de carbone et de garantir l’intégrité environnementale du MACF[95] ». En résumé, même si concevoir des ajustements frontaliers conséquentialistes pleinement fonctionnels n’est pas simple en pratique[96], le MACF 1.0 retient déjà (importations directes) ou envisage (importations indirectes) cette approche pour l’électricité.

Le fait que des questions similaires apparaissent pour les métaux de base, sans même parler du cas des laitiers de hauts-fourneaux utilisés dans l’industrie cimentière[97], souligne l’omniprésence de l’enjeu. Les prochaines étapes de construction du MACF semblent donc devoir, au-delà du seul ajustement sur les ferrailles, inclure un effort de rapprochement du dispositif avec le fonctionnement marginaliste de l’économie de marché.

Ces efforts n’impliquent pas d’ajouter à l’indéniable complexité du MACF[98]. Au contraire, fermer la porte à différents arrangements de resource shuffling simplifierait le système. L’incitation à produire des déclarations mensongères serait diminuée[99] et les vérifications pourraient se concentrer sur la vérification de schémas industriels réellement favorables à la décarbonation, sans y ajouter de nombreux schémas de resource shuffling sans intérêt de fond, mais à vérifier néanmoins.

Conclusion

Appliquées aux produits métalliques, les comptabilités d’émissions de CO2 les plus couramment utilisées tendent à engendrer une compétition pour la ferraille, plutôt que la maîtrise de la consommation de métaux et la décarbonation de leur production primaire. Ce biais provient de ce qu’elles ne prennent pas en compte le caractère intrinsèquement limité des ressources en ferrailles.

Cependant, des bases existent déjà, posées d’abord dans le secteur de l’acier, pour des comptabilités exemptes de ce biais. Dans un contexte où la décarbonation est appelée à jouer un rôle important dans les choix industriels et de consommation, ces fondations ne peuvent plus être ignorées, pour l’acier comme pour les autres métaux de base. Elles interrogent même certaines dispositions de la version initiale du récent et très nécessaire mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne (MACF), qui en l’état actuel ne peut empêcher des « fuites de carbone » par importation de ferrailles.

Les opinions exprimées dans ce document engagent leurs auteurs 
et n'ont pas vocation à refléter la position du gouvernement.

[1] Voir par exemple Bueb J. et To E. (2020), « Comment évaluer l’externalité carbone des métaux », La Note d’analyse, n° 96, France Stratégie, octobre. 

[2] La transition énergétique nécessite évidemment de l’acier, mais elle n’en augmentera pas radicalement la demande, comme c’est le cas pour d’autres métaux. 

[3] En 2019, après avoir inclus, entre autres, la production d’électricité (« scope 2 ») pour l’industrie sidérurgique. Voir AIE (2020), Iron and Steel Technology Roadmap. Towards More Sustainable Steelmaking, Agence internationale de l’énergie, rapport, octobre. 

[4] C’est-à-dire hors émissions du changement d’usage des sols. 

[5] International Aluminium Institute (2023), « Greenhouse gas emissions – Aluminium sector », 25 janvier.

[6] Voir Word Steel Association (2024), World Steel in Figures - 2024

[7] Estimation fournie dans AIE (2020), Iron and Steel Technology Roadmap, op. cit. Cette estimation semble tenir compte de l’acier non récupéré dans les démolitions (ferraillages restant dans les fondations, etc.). D’autres acteurs donnent des chiffres de 90 % ou 95 %, « tirés vers le haut » par la prise en compte des chutes neuves. 

[8] À notre connaissance, les deux exceptions sont l’usine Arvedi de Crémone et celle d’ArcelorMittal à Sestao, qui mettent toutes deux en œuvre la « coulée de brames minces ».

[9] Calculs des auteurs, à partir de Mission Possible Partnership (2022), Making Net-Zero Steel Possible. An Industry-Backed, 1.5°C-aligned Transition Strategy, rapport, septembre. Ces coûts sont en €2023, hors éventuelle tarification des émissions. Le choix de laisser le coût des ferrailles hors de la comparaison à suivre provient de ce que son prix reflète des équilibres de marché (voir ci-après), plus que les coûts de collecte et préparation. 

[10] Calculs des auteurs, à partir de JRC (2022), Technologies to Decarbonise the EU Steel Industry, rapport technique, Joint Research Center, mars, et de Gan Y. et Griffin W.M. (2018), « Analysis of life-cycle GHG emissions for iron ore mining and processing in China – Uncertainty and trends », Resources Policy, vol. 58, octobre, p. 90-96. 

[11] Jusqu’à 0,2 tCO2/t si l’électricité est bas-carbone, ou 0,7 tCO2/t si elle provient de charbon. 

[12] Des flux conséquents sont bien établis, par exemple de l’Union européenne vers la Turquie (voir ci-après) et des États-Unis vers la Turquie et l’Asie, mais ils ne représentent qu’une fraction de la production de ferrailles.

[13] Ce double compte affecte toutes les chutes de fabrication (voir la Figure 1), et une partie des chutes internes. 

[14] AIE (2020), Iron and Steel Technology Roadmap, op. cit. 

[15] « Steel in final products », dans les publications de l’AIE.

[16] L’estimation par World Steel du flux de ferraille post-consommation est un peu inférieure à celle de l’AIE, et réduirait ce pourcentage de quelques points. 

[17] Watari T., Giurco D. et Cullen J. (2023), « Scrap endowment and inequalities in global steel decarbonization », Journal of Cleaner Production, vol. 425, novembre. 

[18] Association World Steel (2021), Life Cycle Inventory Study Report – 2020 Data Release. La littérature garde parfois trace d’une estimation World Steel précédente, à 1,67 tonne. Voir par exemple Fraunhofer Institute (2020), Scrap Bonus. External Costs and Fair Competition in the Global Value Chains of Steelmaking, rapport, février.

[19] La construction représente 52 % de la consommation mondiale d’acier (chiffre World Steel) et 43 % en France (chiffre de l’association professionnelle A3M). Une fraction de ces aciers est utilisée pour des équipements (climatisation, etc.) à durée de vie plus courte que le bâtiment lui-même ; mais leur cœur est constitué d’aciers structurels, dans des bâtiments ou infrastructures qui ne sont pas appelés à être déconstruits de sitôt. 

[20] En pratique, à la suite de Müller et al. (2011), cités par Pauliuk et al. (2013), eux-mêmes largement cités, la littérature attribue souvent aux constructions une durée de vie moyenne de 75 ans, avec une dispersion limitée autour de cette moyenne. Voir Müller D.B., Wang T. et Duval B. (2011), « Patterns of iron use in societal evolution », Environmental Science & Technology, vol. 45(1), p. 182-188 ; Pauliuk S., Wang T. and Müller D.B. (2013), « Steel all over the world: Estimating in-use stocks of iron for 200 countries », Resources, Conservation and Recycling, vol. 71, février, p. 22-30. 

[21] Hundt C. et Pothen F. (2024), « European post-consumer steel scrap in 2050: A review of estimates and modeling assumptions », SSRN Paper, janvier. 

[22] AIE (2021), Net-Zero by 2050. A Roadmap for the Global Energy Sector, Agence internationale de l’énergie, rapport, octobre. Ce scénario supplante le scénario Sustainable Development, représentant une neutralité carbone mondiale en 2070, qui figurait dans AIE (2020), Iron and Steel Technology Roadmap, op. cit. 

[23] Le chiffre initialement publié était de 46 % ; il a été révisé à 48 % dans AIE (2023), Steel and Aluminium. Net Zero Emissions Guide, Agence internationale de l’énergie, rapport, septembre.

[24] Ici et par la suite, le terme « chutes neuves » désigne les quantités de ferrailles pré-consommation qui apparaissent en aval du point de comptage de l’acier brut (voir l’Encadré 3). 

[25] Après les corrections suggérées dans l’Encadré 3. 

[26] Le MPP est une plateforme de collaboration qui réunit industriels et «leaders climatiques » pour une décarbonation des secteurs industriels. Voir Mission Possible Partnership (2022), Making Net-Zero Steel Possible, op. cit. ; id. (2022), Making Net-Zero Aluminium Possible. An Transition Strategy for a 1.5°C-compliant Aluminium Sector, rapport, septembre. 

[27] Estimation maximale, à partir de Dworak S. et Fellner J. (2021), « Steel scrap generation in the EU-28 since 1946 – Sources and composition », Resources, Conservation and Recycling, vol. 173, octobre. 

[28] On trouve cependant dans Material Economics (2019), Industrial Transformation 2050. Pathways to Net-zero Emissions from EU Heavy Industry, un graphique (« Exhibit 2.6 ») souvent invoqué dans le domaine des politiques publiques, selon lequel la génération européenne de ferrailles augmenterait de plus de +50 % d’ici 2050, ce qui lui ferait alors atteindre le même volume que la production d’acier, restée quant à elle à peu près stable. Les principes de modélisation ne sont pas fournis, mais le texte et la référence académique mobilisée semblent suggérer que la saturation du stock d’acier a été prise comme hypothèse – ce qui reviendrait à supposer dès le départ qu’une circularité totale sera atteinte. Quoi qu’il en soit, il conviendrait de détailler la composition de ce bond de la génération de ferraille, en gardant à l’esprit qu’à date de la modélisation, plus d’un tiers des ferrailles étaient des chutes neuves (voir Dworak et Fellner, 2021). Puisque la quantité de chutes neuves est plus ou moins proportionnelle à la production d’acier, il faudrait, pour que la trajectoire d’ensemble soit possible, que le flux de ferrailles post-consommation double dans la majorité des catégories de produits… À date de la présente publication, les auteurs du graphique n’avaient pas répondu à nos demandes de partage de leur modélisation. 

[29] Comme c’est la tendance actuelle du parc automobile européen, dont le renouvellement a ralenti. 

[30] Conformément à la tendance à privilégier les rénovations lourdes plutôt que la démolition-reconstruction. 

[31] Les caractéristiques technico-économiques des procédés bas-carbone pour la production primaire d’acier ont été explorées par des projets pionniers tels que ULCOS, et sont documentées entre autres, par AIE (2020), Iron and Steel Technology Roadmap, op. cit. ; AIE (2023), Steel and Aluminium. Net Zero Emissions Guide, op. cit. ; Mission Possible Partnership (2022), Making Net-Zero Steel Possible, op. cit. ; et Ademe (2024), Plan de transition sectoriel de l’industrie de l’acier en France, rapport de synthèse, avril. 

[32] Comme l’a déjà fait remarquer Agora Industry (2023), 15 Insights on the Global Steel Transformation, étude, juin. 

[33] Voir par exemple AIE (2024), Strategies for Affordable and Fair Clean Energy Transitions, rapport, mai. Les chiffres avancés sont même inférieurs à 1 % pour une voiture électrique autoroutière. 

[34] Voir France Stratégie (2024), Les coûts d’abattement. Partie 7 – Acier, commission présidée par Patrick Criqui, octobre.

[35] Ces aspects de qualité du minerai sont longtemps restés des angles morts, comme souligné par Birat J.-P. (2023), « Net-Zero transition in the steel sector: beyond the simple emphasis on hydrogen, did we miss anything? », Matériaux et techniques, vol. 111(2), juin. Le Rocky Mountain Institute a récemment publié des résultats de modélisation sur ce point : https://www.rmi.org/insight/green-iron-corridors/ 

[36] Comme souligné, par exemple, par Gielen D., Saygin D., Taibi E. et Birat J.-P. (2020), « Renewables-based decarbonization and relocation of iron and steel making: A case study », Journal of Industrial Ecology, vol. 24(5), octobre, p. 1113-1125 ; Rocky Mountain Institute (2024), « Green iron corridors: A new way to transform the steel business », 23 avril ; et par une interview, début 2024, du directeur général d’ArcelorMittal Europe. 

[37] Dans des fours à arc électrique (EAF), non présents aujourd’hui sur ces sites, mais similaires à ceux déjà décrits. 

[38] World Steel Association (2024), World Steel in Figures - 2024, op. cit. 

[39] La production primaire d’aluminium est bien plus émissive que celle de l’acier, de sorte qu’il ne peut présenter un avantage pour la décarbonation que lorsque la réduction de poids qu’il permet entraîne de fortes réductions d’émissions en utilisation – comme c’est évidemment le cas dans l’aviation. 

[40] Lorsque l’acier est utilisé dans du béton armé, ces substitutions évitent aussi les émissions de la production de ciment. 

[41] Cet effet est relativement robuste : aux prix et technologies actuelles, éviter la consommation d’une tonne d’acier a le même effet positif sur la balance commerciale, qu’elle évite l’importation des quantités correspondantes de minerai et de charbon ou qu’elle permette l’exportation d’une tonne supplémentaire de ferrailles. 

[42] AIE (2021), Net-Zero by 2050, op. cit.

[43] En anglais, « FRP rebar ». Aujourd’hui, leur marché est environ 300 fois plus petit en valeur que celui des barres d’armature en acier. Voir FRP Market – Forecast (2024-2030), rapport ; Grand View Research (s.d.), Steel Rebar Market Size – Forecasts 2022-2030, rapport d’analyse de marché. 

[44] Voir par exemple Ji X.-L., Chen L.-J., Liang K., Pan W. et Su R.-K.-L. (2023), « A review on FRP bars and supplementary cementitious materials for the next generation of sustainable and durable construction materials », Construction and Building Materials, vol. 383, juin. De manière très générale, les armatures composites actuelles ont un contenu carbone équivalent ou légèrement supérieur à celui de l’acier primaire, par unité de masse, mais sont trois à quatre fois plus légères. Leur contenu carbone provient principalement de la résine, bien que cette dernière ne pèse qu’un tiers environ de leur masse et ne porte pas leurs principales propriétés mécaniques. Si ce marché se développait pour la décarbonation, des optimisations seraient donc probables. 

[45] Elle semble plus avancée outre-Atlantique : voir par exemple l'ACI 440 aux États-Unis et la CSA S806 au Canada. 

[46] On parle souvent de FDES (fiches de déclaration environnementale et sanitaire), qui sont un cas particulier de DEP. 

[47] Dont l’intercomparabilité est assurée par un arrêté et les différentes normes qui y sont mentionnées. 

[48] Et aussi, implicitement, tous acteurs qui considèreraient les reportings nationaux d’émissions comme l’unique indicateur de succès des politiques climatiques gouvernementales… 

[49] C’est-à-dire, dans la majorité des applications, mais pas toutes : certains aciers utilisés par l’industrie automobile sont pauvres en atomes de carbone et en éléments d’alliage, ce qui rend leur production difficile à partir de ferrailles post-consommation. Ce type de contrainte, conjugué à l'existence de méthodes comptables plus appropriées (voir ci-dessous), explique que des projets pionniers d'acier primaire bas-carbone peuvent réussir à sécuriser certains clients. 

[50] Le taux de 85 % donné par l’AIE semble l’estimation la plus basse parmi celles existantes. 

[51] Voir par exemple Lee J., Voigt N., Feth M. et Chhibar G. (2024), « Shortfalls in scrap will challenge the steel industry », Boston Consulting Group, mars.

[52] En d’autres termes, une situation où toute utilisation de ferraille par un producteur ne fait que priver un autre de celle-ci. 

[53] En pratique, ils tendent à n’intégrer du HBI dans leur mix que si la qualité de la ferraille accessible rend cela nécessaire. 

[54] Elle couvre, via ses membres, via ses membres, 85 % de la production mondiale d’acier. 

[55] Voir https://www.worldsteel.org/steel-topics/life-cycle-thinking/

[56] « Life cycle assessment – Principles and framework » et « Life cycle assessment - Requirements and guidelines ». 

[57] Voir World Steel Association (2017), Life Cycle Inventory Methodology Report, rapport ; que confirme par citation un rapport plus récent : World Steel Association (2024), Guidance on Methodologies for Modelling Reuse and Remanufacture in LCA Studies, rapport. 

[58] Correspondant à celle présentée au point A2.6.4 de World Steel Association (2017), Life Cycle Inventory Methodology Report, op. cit. Les valeurs d’émissions indiquées s’entendent par tonne d’acier.

[59] Voir la page « Product Environmental Footprint method », sur le site internet de la Commission. 

[60] Ou, à tout le moins, ne plus être la technologie de production de fer primaire « marginale » à l’échelle mondiale. 

[61] Bien sûr, ces facteurs ne seront pas comparés un à un, mais multipliés chacun par la masse de matériau permettant d’atteindre la fonctionnalité visée.

[62] À moins que le parc automobile ne diminue si rapidement qu’aucune nouvelle voiture ne soit nécessaire… ce qui, à ce jour, est très loin des réalités connues. 

[63] Nous ne prétendons pas que les produits à courte durée de vie seraient par principe mauvais (les produits à longue durée de vie peuvent présenter des coûts et impacts plus élevés à la production, et se révéler inadaptés à des changements imprévus de la demande ou des technologies), mais seulement que favoriser les produits à vie courte parce qu’ils libèrent plus rapidement leur ferraille constituerait en général un raisonnement erroné. 

[64] En d’autres termes, ces produits courent le risque d’être encore en service lorsque la valeur en CO2 de la ferraille finira par diminuer significativement. 

[65] Plus précisément, elles pourront toujours être valorisées sur le marché international, mais les flux correspondants (par exemple, une forte augmentation des exportations européennes de ferraille, déjà élevées) ne feront pas toujours sens. 

[66] Voire à celle d’un pays – même si, à notre connaissance, cela n’a encore jamais été proposé. 

[67] AIE (2022), Achieving Net Zero Heavy Industry Sectors in G7 Members, Agence internationale de l’énergie, rapport, mai. 

[68] World Economic Forum – First Movers Coalition (2024), « Sector One Pagers – Steel ».

[69] Voir Responsible Steel (2022), « The “Sliding Scale”: Setting Equitable Thresholds to Drive Global Steel Decarbonisation », 9 décembre. 

[70] SBTi (2023), Steel Science-Based Target-Setting Guidance. Version 1.0, Science Based Targets Initiative, juillet. Le SBTi indique que « Si l’approche de décarbonation sectorielle encourageait fortement l’utilisation de ferraille par les entreprises, une “fuite de ferrailles” se produirait probablement : la ferraille passerait des entreprises qui ne se fixent pas d’objectifs vers celles qui s’en fixent, augmentant ainsi l’intensité en émissions et/ou les volumes de production des sites sidérurgiques les plus émetteurs. » 

[71] Wirtschaftsvereinigung Stahl (2024), « The LESS System », avril. 

[72] Par exemple, si on suppose 0,6 MWhe/tacier et une empreinte carbone marginale de 400 kgCO2/MWhe chaque fois que l’équilibrage du système électrique appelle des productions à base de gaz, réussir à placer la production des EAF dans les créneaux horaires où la production d’électricité bas-carbone est excédentaire permettrait d’économiser plus de 200 kgCO2/tacier. 

[73] En fait, le coefficient d’ajustement des ferrailles renseigne bien la valeur en CO2 de toute collecte supplémentaire de ferraille, mais la difficulté pour une politique de décarbonation tient à distinguer les pratiques de collecte et préparation supplémentaires, justifiées par la décarbonation, de la masse des pratiques rentables préexistantes.

[74] Voir ci-après, concernant son étendue. 

[75] Nous représentons, pour chaque niveau de prix du carbone, l’écart de coût avec la technologie de production primaire théoriquement la moins coûteuse. Cela correspond à une simplification dans laquelle le prix du carbone, parfaitement crédible et prévisible, a engendré les investissements les plus rentables.

[76]. La littérature fournit des estimations de l’élasticité-prix de court terme de l’offre de ferraille, fondées sur des observations de la variabilité interannuelle ; mais, à notre connaissance, pas d’estimations robustes concernant son élasticité de long terme. 

[77] Si on poursuit le raisonnement, la plus forte valeur de l’activité de collecte de ferrailles peut être en partie captée par la consommation (par exemple, un ménage qui met une voiture à la casse, si la compétition entre ferrailleurs est suffisamment forte pour faire monter le prix de rachat), ou par les producteurs (et de là, potentiellement, aux consommateurs) si le bien considéré est régi par un système de responsabilité élargie du producteur. 

[78] Voir par exemple CE Delft (2021), Additional Profits of Sectors and Firms for the EU ETS. 2008-2019, rapport, juin. 

[79] Le producteur européen moyen émet un peu plus que les quotas gratuits reçus, fondés sur les installations les plus performantes. Il se retrouve donc exposé à une légère perte de compétitivité, relativement à ses équivalents étrangers. 

[80] La Commission a conduit une consultation à ce sujet en octobre 2024. 

[81] « Le présent règlement ne devrait pas s’appliquer, dans un premier temps, à certains produits dont la production n’entraîne pas d’émissions significatives, tels que les ferrailles, certains ferro-alliages et certains engrais » (considérant 39 du règlement MACF).

[82] Exportations nettes, en 2023, rapportés à la génération de ferrailles dans l’Union européenne – d’après Kolisnichenko V. (2024), « EU scrap market balance », GMK Center, 10 septembre. 

[83] Par exemple, à la suite des actions des États-Unis en 2018, les importations d’acier dans l’Union européenne sont actuellement soumises à des quotas – qui ne couvrent toutefois pas la ferraille. 

[84] Voir par exemple Daehn K., Cabrera Serrenho A. et Allwood J. M. (2017), « How will copper contamination constrain future global steel recycling? », Environmental Science & Technology, vol. 51(11), avril. 

[85] Soit directement ; soit indirectement, lorsque ces métaux sont importés pour répondre à la demande européenne, et donc soumis au MACF. 

[86] Même les volumineuses subventions publiques promises par plusieurs États membres pour soutenir la transformation des aciéries intégrées seraient probablement insuffisantes, si la faille identifiée ici n’est pas corrigée à l’avenir, pour rendre les actifs servant vers la production primaire (c’est-à-dire les installations de réduction directe) compétitifs par rapport à la production basée sur la ferraille.

[87] Hydro (2023), « Greenwashing via CBAM: Loopholes threaten European green products market », 7 juillet. 

[88] « Address remaining loopholes in carbon footprint accounting, such as the exclusion (zero-emissions presumption) from CBAM of recycled materials ». Voir Draghi M. (2024), The Future of European Competitiveness. Part B – In-depth analysis and recommendations, rapport, Commission européenne, septembre, p. 111. Il s’agit d’une des mesures de la proposition 7 du chapitre sur les Indutries énergo-intensives. 

[89] L’article XX, paragraphe (j) du GATT, bien que visant à l’origine des cas très différents, affirme « le principe selon lequel toutes les parties contractantes ont droit à une part équitable de l’approvisionnement international [des produits pour lesquels se fait sentir une pénurie générale ou locale] ». 

[90] Voir notamment la visite de la présidente von der Leyen en Mauritanie en février 2024 : « ‘Make green iron and steel from hydrogen and export them to Europe’, EU president tells Mauritania | Hydrogen Insight ». 

[91] Ce qui, dans le système pré-MACF, a conduit à la « compensation des coûts indirects » (pour les consommateurs électro-intensifs exposés aux fuites de carbone), calculée de manière marginaliste. 

[92] Article 7 du Règlement, et point 4.2 de son annexe IV. 

[93] Annexe IV, point 5. 

[94] Les deux options restent explicitement ouvertes : « sur la base […] soit du facteur d’émission du réseau électrique du pays d’origine, soit du facteur d’émission de CO2 des sources de fixation des prix dans le pays d’origine » (ibid., annexe IV, point 4.3). 

[95] Considérant 19 du Règlement. 

[96] Concernant l’électricité, voir AFRY Management Consulting (2024), EU CBAM Impact Study Focused on Electricity Imports from Great Britain, rapport, mars.

[97] Ils bénéficient aussi d’une présomption d’émissions nulles. 

[98] Le MACF 1.0 impose en effet déjà de déclarer les contenus en matière recyclée. 

[99] Déclarer des contenus recyclés mensongèrement élevés, et, en cohérence, des empreintes carbone basses, est une voie évidente dans le MACF 1.0 pour qui voudrait tricher. L’ajustement sur les ferrailles supprime cette possibilité

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Décarbonation de l’acier et des métaux de base : envoyons les bons signaux

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Gérardin, Maxime, et Sophie Ferrière. Décarbonation de l’acier et des métaux de base : envoyons les bons signaux. La Note d’analyse, no. 149, France Stratégie, janv. 2025.
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Gérardin, Maxime, et Simon Ferrière. Décarbonation de l’acier et des métaux de base : envoyons les bons signaux. La Note d’analyse, no. 149, France Stratégie, janv. 2025.
ISO 690
GÉRARDIN, Maxime et FERRIÈRE, Simon, 2025. Décarbonation de l’acier et des métaux de base : envoyons les bons signaux. La Note d’analyse. Janvier, n° 149. France Stratégie.

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