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Retour sur le débat régional à Strasbourg : Quelle France dans 10 ans ?

Les débats régionaux organisés par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective dans le cadre du chantier « Quelle France dans dix ans ? » ont continué avec une réunion publique à Strasbourg, consacrée au modèle social. La proximité de l’Alsace avec l’Allemagne a donné aux échanges entre universitaires, représentants d’institutions et d’entreprises, une tonalité particulière sur les thèmes des deux tables rondes : « Emploi, solidarité et dialogue social » et « Cohésion sociale et responsabilité sociétale des organisations ».

Publié le : 14/11/2013

Mis à jour le : 23/12/2024

Débat régional #FR10A - Quel modèle social dans 10 ans ? Strasbourg

En 1991, le siège de l'ENA est transféré à Strasbourg, un acte fort qui voulait démontrer la volonté de l'État de décentraliser. Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective a choisi ce double symbole pour porter le débat sur le modèle social hors de Paris. Ici, en Alsace, plus qu'ailleurs, on est confronté à la concurrence du modèle social allemand, au coût moins élevé. Premier constat : l'Europe est dans une impasse concernant l'harmonisation sociale.

Il semble nécessaire qu'un certain nombre de règles soient uniformisées au niveau européen. Cependant, les États membres sont farouchement attachés à leurs systèmes et modèles de protection sociale, rendant toute avancée difficile. De plus, les nouveaux États membres tiennent à garder leur avantage compétitif, comme l'Espagne et le Portugal lors de leur entrée dans l'Union européenne. À l'époque, ces pays considéraient leurs faibles coûts comme un atout majeur, et la situation est similaire aujourd'hui avec les pays de l'Est.

Face à ce danger, les employeurs français doivent considérer l'amélioration des conditions de travail non pas comme un coût, mais comme un investissement rentable. À court terme, un salarié est plus efficace dans de bonnes conditions de travail. À long terme, cela réduit les coûts liés aux maladies professionnelles et aux accidents du travail, qui peuvent s'avérer très coûteux pour une entreprise et la société. La richesse économique ne peut être dissociée de la performance sociale. Un salarié satisfait et motivé sera plus performant et efficace.

Parler de modèle social, c'est aussi évoquer le lien social incarné par certains métiers, comme celui de facteur. À l'heure du tout numérique, son rôle reste essentiel. Le facteur ne se limite pas à distribuer lettres et colis ; il joue aussi un rôle de lien social, notamment dans les zones rurales. Pour certaines personnes âgées, il est parfois la seule visite de la journée, apportant des nouvelles de l'extérieur ou des services comme du pain ou des médicaments.

Sauvegarder notre modèle social tout en restant compétitif est un défi de taille pour la France dans 10 ans. Trouver cet équilibre est indispensable pour préserver notre vivre-ensemble.

En Alsace, 8 % des actifs sont employés outre-Rhin. Mais depuis quelques années, l’Allemagne a moins besoin des ouvriers alsaciens et ces derniers n’ont plus envie d’y travailler. En cause, le niveau des salaires et la concurrence de la main-d’œuvre venue des anciens pays de l’Est, qui ont intégré l’Union européenne dans les années 2000. La directive de 1996 sur le détachement des travailleurs en Europe, aujourd’hui rediscutée à Bruxelles, fait ressortir les différences entre les modèles sociaux des pays de l’Union et les met en concurrence, selon Fabienne Muller, maître de conférence en droit social à l’université de Strasbourg : « Il est nécessaire d’aller vers une harmonisation sinon notre modèle social ne résistera pas au choc. ».

Si l’Allemagne se dote d’un salaire minimum, comme l’a annoncé le 21 novembre la chancelière Angela Merkel, ce sera un premier pas pour refréner le dumping social. Pour lutter contre les abus du détachement, le Parlement européen préconise dans un rapport de créer un « corps de contrôle européen » et de mettre en œuvre des sanctions pénales. Selon certaines estimations, il y aurait ainsi près de 18 000 salariés… Français détachés en France. Ils sont employés par des filiales d’entreprises françaises dans les pays frontaliers où les cotisations sociales sont plus faibles et travaillent dans l’hexagone. Mettre fin à ces dérives permettrait d’augmenter les recettes de la protection sociale.

Il y aurait matière à s’inspirer du régime local de la législation sociale en Alsace, qui accorde une plus grande place à la prévention. Ce changement d’orientation devrait aussi concerner les entreprises qui voient la médecine du travail et l’investissement dans l’amélioration des conditions de travail avant tout comme un coût : « Faire de la prévention permet d’éviter des accidents du travail mais aussi l’apparition de maladies professionnelles et donc de diminuer à long terme les coûts de réparation pour les employeurs et pour la société. » témoigne Aurélie Bouabca, inspectrice du travail.

Dans le maintien de la cohésion sociale, les entreprises ont également un rôle important à jouer, la plupart des intervenants s’en montrent convaincus. « L’identité professionnelle est constitutive de l’identité sociale, explique Isabelle Barth, directrice générale de l’EM Strasbourg Business School. La crise que nous traversons accentue les crispations entre les individus. Les entreprises doivent travailler sur la confiance et la reconnaissance des salariés. »

Dans l’imaginaire des Français, le facteur demeure un élément fort du lien social, particulièrement dans les zones rurales et auprès des personnes âgées : « Il rend de menus services, apporte du pain ou des médicaments, précise Jacques Perrier, délégué régional de La Poste région Est. Mais est-ce encore son rôle dans le monde moderne ? L’attachement de nos concitoyens à cette figure de la cohésion sociale pourrait nous conduire à réfléchir pour enrichir sa mission, avec une aide aux personnes dépendantes par exemple. »

La lutte contre l’exclusion gagnerait à sortir d’un système vertical pour une meilleure collaboration entre les acteurs, avec une plus grande responsabilisation des individus. « L’intelligence collective se développe de façon intéressante grâce à Internet et aux réseaux sociaux, juge François Loos, vice-président du Conseil régional. On le voit avec le crowdfunding (financement participatif de projets favorisant l’entraide). » D’autres initiatives sur le terrain - création de monnaies locales, réseaux d’échange d’objets de seconde main, etc – pourraient nourrir l’innovation sociale.

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