Note d’analyse

La vie devant soi : adolescence précaire, avenir incertain ?

Dans quelle mesure grandir dans une situation de précarité à l’adolescence affecte les parcours de vie ? D’après un indicateur original de précarité construit à partir de l’enquête Statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV), qui évalue à la fois les conditions de vie de l’individu et la situation financière de son foyer durant son adolescence, nous examinons le poids de la transmission de la pauvreté en France. 13 % des personnes déclarent avoir connu une situation de précarité à l’adolescence.

Publié le : 22/07/2024

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Une fois adultes (que nous restreignons dans l’étude à la tranche de 30 à 54 ans), elles présentent des caractéristiques en moyenne bien moins favorables que celles qui n’ont pas connu cette situation. Ce désavantage se retrouve en termes de niveau de vie, bien qu’il existe une certaine hétérogénéité dans les trajectoires : si près d’un ancien adolescent précaire sur trois a un niveau de vie parmi les 20 % les plus faibles à l’âge adulte, 30 % se situent parmi les 40 % les plus aisés.

En 2019, parmi les anciens adolescents précaires devenus adultes, presque un sur quatre est pauvre « en conditions de vie », contre environ un sur dix chez les anciens adolescents non précaires, soit un risque de pauvreté 2,25 fois plus élevé. À environnement familial comparable à l’adolescence (niveau de diplôme des parents, origine migratoire, type de ménage, etc.), le risque de pauvreté reste toujours 1,6 fois plus élevé. La pénalité liée au fait d’avoir connu la « précarité adolescente » est de même ampleur en termes de pauvreté chronique, mesurée par le fait de rester pauvre en conditions de vie trois années d’affilée. La reproduction de la pauvreté est plus marquée pour les femmes : une femme ayant connu la précarité à l’adolescence a ainsi 1,9 fois plus de risque d’être pauvre en conditions de vie à l’âge adulte qu’une femme n’ayant pas connu cette situation.

Une partie de ces écarts s’explique par les différences de parcours éducatifs entre anciens adolescents pauvres et non pauvres. Les sorties sans diplôme sont, à environnement familial durant l’adolescence comparable, un peu plus de 1,5 fois plus fréquente pour les anciens adolescents précaires. Chez les femmes, la reproduction de la pauvreté s’explique aussi par des di­fférences de configurations familiales à l’âge adulte. Les anciennes adolescentes précaires ont ainsi, à environnement familial à l’adolescence comparable, 1,4 fois plus de risque de vivre à l’âge adulte dans un ménage monoparental.

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Écarts de taux de pauvreté en conditions de vie selon le statut de précarité à l’adolescence

Champ : individus âgés de 30 à 54 ans en 2019, résidant en ménage ordinaire en France métropolitaine. 

Lecture : en 2019, le taux de pauvreté en conditions de vie des anciens adolescents précaires était supérieur de 13 points de pourcentage  à celui des personnes n’ayant pas connu cette situation de précarité à l’adolescence. En comparant des individus ayant les mêmes  caractéristiques familiales à l’adolescence (niveau de diplôme des parents, origine migratoire, etc., voir schéma 2), ce taux restait  supérieur de 6,7 points de pourcentage (échelle de gauche), soit un risque de devenir pauvre 1,6 fois plus élevé (échelle de droite). 

Source : enquête SRCV 2017-2019, Insee ; calculs France Stratégie

Introduction

Dans de nombreux travaux, France Stratégie a examiné le lien entre les trajectoires individuelles et le milieu où l’on grandit. Ces études se sont notamment concentrées sur les inégalités scolaires, sur l’ascension sociale, ou encore sur les écarts de revenu à l’âge adulte[1]. Pour analyser ces questions, ces travaux ont souvent adopté une définition plus ou moins large d’un « milieu social modeste » (par exemple, les enfants de ménages à dominante ouvrière). Nous proposons ici un nouvel éclairage en nous concentrant spécifiquement sur les individus ayant grandi dans les situations les plus vulnérables, c’est-à-dire en condition de précarité durant l’adolescence[2]. Nous cherchons plus particulièrement à comprendre dans quelle mesure faire face à une situation de précarité durant cette période affecte les parcours de vie, et par quels canaux cette précarité peut se transmettre jusqu’à l’âge adulte.

À l’international, une littérature abondante examine le poids de la transmission intergénérationnelle de la pauvreté monétaire. Dans l’ensemble, ces études démontrent que les enfants de parents pauvres ont de plus fortes probabilités de devenir des adultes pauvres[3], même en séparant l’effet d’avoir grandi dans la pauvreté d’autres caractéristiques importantes du contexte familial et de l’environnement[4]. Des recherches complémentaires soulignent également que la pauvreté durable dans l’enfance engendre des conséquences plus sévères que les épisodes de pauvreté temporaire[5]. En France, la littérature sur la mobilité intergénérationnelle a approché cette question en analysant la distribution des revenus des ménages des individus dont les parents appartenaient au premier quintile[6]. Cependant, ces travaux ont pour limite de se concentrer spécifiquement sur les revenus des parents, sans chercher à déterminer si la faiblesse de leurs ressources a restreint l’accès de leurs enfants à certains besoins essentiels à leur bon développement. On peut à l’inverse chercher à identifier plus précisément les « enfants pauvres », au-delà des indicateurs de pauvreté habituels (monétaire, en conditions de vie) portant sur l’ensemble de leur ménage, qui rencontrent certaines limites dans l’appréhension de la pauvreté infantile[7]. Au niveau européen, cette approche a mené à l’élaboration d’un nouvel indicateur de privation, plus sensible aux conditions de vie spécifiques aux enfants[8].

À partir de données inédites provenant du module « Mobilité sociale » de l’enquête Statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV) de l’année 2019, il est possible d’obtenir des informations relatives à l’adolescence de l’individu. Ainsi, nous définissons la précarité à l’adolescence à partir d’un indicateur original[9] qui évalue — au-delà des ressources financières du ménage dans lequel il grandit — les conditions de vie de l’adolescent : restrictions portant sur les besoins nutritifs, scolaires et culturels. Cet indicateur est ensuite relié, à l’âge adulte, à l’indicateur français de « pauvreté en conditions de vie »[10]. Nous croisons ainsi une perspective intergénérationnelle (grandir dans un ménage pauvre), et intragénérationnelle (être considéré comme un enfant pauvre, au-delà des seules ressources financières de ses parents), et comparons le risque de pauvreté en conditions de vie entre un groupe d’adultes âgés de 30 à 54 ans qui a vécu dans la précarité à l’adolescence et un autre groupe de la même classe d’âge qui n’a pas vécu cette situation. Afin d’isoler l’effet de la précarité à l’adolescence d’autres variables liées au milieu où l’on grandit, nous comparons les deux groupes à environnement familial comparable à l'adolescence (niveau de diplôme des parents, origine migratoire, configuration familiale, etc.). Les adolescents précaires sont-ils (plutôt) destinés à le rester ?

Après une revue synthétique de plusieurs travaux sur les effets de la pauvreté pendant l’enfance en France, ainsi que sur sa transmission intergénérationnelle, nous présentons notre indicateur de précarité à l’adolescence, et analysons les caractéristiques de nos deux groupes durant la période de l’adolescence puis à l’âge adulte. Nous évaluons ensuite l’impact de cette précarité sur le risque d’être pauvre en conditions de vie l’âge adulte, de manière ponctuelle ou plus durable. Enfin, nous analysons nos résultats par sexe, et cherchons à identifier les principaux canaux de reproduction de la pauvreté entre l’adolescence et l’âge adulte.

La pauvreté infantile en france et sa transmission jusqu'à l’âge adulte

La problématique de la pauvreté infantile se déploie sur deux fronts intrinsèquement liés : le bien-être immédiat et le « bien devenir » de ces enfants[11]. La pauvreté est d’abord un facteur d’influence majeur sur le développement des jeunes individus. Plusieurs études reposant sur des données américaines ont notamment démontré que son impact sur les trajectoires est d’autant plus fort que l’enfant est jeune — entre 0 et 5 ans —, et qu’elle est chronique[12]. En France, quelques travaux significatifs ont permis de mettre en évidence les effets marquants de la pauvreté durant la petite enfance, notamment des problèmes sanitaires et liés au développement langagier[13]. Les données du panel de la DEPP des élèves entrés en 6e en 1995 indiquent également que les trajectoires scolaires sont nettement plus ardues pour les adolescents issus de familles pauvres[14]. Néanmoins, aucun travail ne s’est intéressé spécifiquement à l’étude et à la compréhension de la transmission de la pauvreté jusqu’à l’âge adulte, faute notamment de données longitudinales sur une période suffisamment longue en France[15].

Deux types de travaux ont néanmoins approché cette question. Le premier provient du champ de la mobilité intergénérationnelle, et analyse la corrélation entre le revenu du ménage dans lequel on vit et celui du ménage dans lequel on a grandi. Ainsi, en imputant les revenus des parents, Kenedi et Sirugue (2023) montrent que 31,8 % des enfants issus des 20 % des familles aux revenus les plus faibles se situent eux-mêmes parmi les 20 % des ménages aux revenus les plus faibles à l’âge adulte[16]. Ainsi, un enfant issu des 20 % des familles aux revenus les plus faibles aura 1,9 fois plus de risque de se situer lui-même à l’âge adulte parmi les 20 % des ménages aux revenus les plus faibles, par rapport aux autres enfants. Par ailleurs, Abbas et Sicsic (2022) ont également analysé cette corrélation à un niveau individuel, en reliant directement les revenus des parents à ceux de leurs enfants âgés de 28 ans[17].

Le deuxième type de travaux s’inscrit dans une tradition d’études mobilisant une méthodologie fondée sur des questionnaires rétrospectifs, fournissant des détails sur la situation familiale et économique des répondants durant leur adolescence. À partir des enquêtes EU-SILC (European Union Statistics on Income and Living Conditions) 2005 et 2011, plusieurs papiers ont étudié la transmission intergénérationnelle de la pauvreté à l’échelle européenne. C’est par exemple le cas de Serafino et Tonkin (2014)[18], qui analysent la transmission de la pauvreté en Angleterre et comparent cette situation à celle d’autres pays de l’Union européenne. Également, Bellani et al. (2016)[19] examinent le rôle de l’éducation en tant que voie causale influençant la manière dont grandir dans la pauvreté affecte les résultats économiques de l’individu à l’âge adulte. En France, à partir d’une variable subjective de la situation financière du ménage de l’individu à l’adolescence, Pénicaud et al. (2017)[22]ont ainsi étudié sa corrélation avec le niveau de vie à l’âge adulte. Ils montrent une transmission partielle entre générations : en 2011, 59 % des personnes qui déclarent que leurs parents avaient des fins de mois difficiles ont un niveau de vie inférieur à la médiane, contre 44 % de celles qui indiquent que leurs parents ne rencontraient aucune difficulté pour faire face aux dépenses nécessaires. Bien que notre recherche s’aligne sur ces dernières études, elle s’en distingue en intégrant les conditions de vie à l’adolescence, un facteur crucial pour appréhender la précarité de manière plus nuancée, informations qui ne sont disponibles que dans l’édition 2019 de l’enquête SRCV (Encadré 1).

L’enquête Statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV) constitue la composante française du système EU-SILC (European Union Statistics on Income and Living Conditions), une enquête annuelle pilotée par l’Insee dans le cadre du programme d’action communautaire de lutte contre l’exclusion sociale. Le dispositif SRCV a la particularité de recueillir des données « transversales » sous forme d’enquête annuelle traditionnelle, et des données « longitudinales » sous forme de panel[20]. Il s’agit de l’enquête de référence sur les conditions de vie des ménages en France. Le cadre réglementaire européen distingue des domaines d’étude « primaires » annuels (incluant les caractéristiques sociodémographiques, les conditions de vie, les revenus, l’emploi, le logement, etc.), et des thèmes dits « secondaires » variables (tels que la participation sociale, les conditions de logement, ou encore le bien-être). En 2019, un module dédié à la mobilité sociale et à la transmission intergénérationnelle des désavantages sociaux a été introduit, recueillant des informations rétroactives sur les conditions de vie de l’individu lorsqu’il était âgé de 14 ans[21]. C’est à partir de ce module que nous élaborons notre indicateur de précarité à l’adolescence, et étudions son contexte familial.

Afin d’observer des individus considérés comme assez stables professionnellement, nous ciblons spécifiquement des personnes âgées de 30 à 54 ans. Pour assurer l’authenticité et la qualité des données recueillies sur l’adolescence des individus, nous avons exclu les questionnaires remplis par un autre membre du ménage (réponse « proxy »), favorisant les entretiens directs (variable RESIND==1). Les données dont nous disposons ont finalement deux caractéristiques : une coupe transversale, et une dimension panel. Le premier échantillon — qui sera utilisé pour l’ensemble de l’étude à l’exception de la dimension persistante de la pauvreté — utilisera exclusivement sa coupe transversale. Cet échantillon comprend 5 537 individus nés entre 1964 et 1989, dont 13,1 % de l’échantillon pondéré étaient en situation de précarité à l’adolescence (754 personnes en non pondéré). La moyenne d’âge est de 42 ans. Le deuxième échantillon permettra d’étudier la persistance de la pauvreté entre les années 2017 et 2019. Étant donné le caractère rotatif du panel, nous disposons sur cette période longitudinale de 2 972 individus dont 12,8 % de l’échantillon pondéré étaient en situation de précarité à l’adolescence (380 personnes en non pondéré). L’ensemble des résultats sont pondérés avec le poids transversal ou longitudinal selon l’échantillon utilisé.

Construire un indicateur de précarité à l’adolescence

Pour la première fois, le questionnaire rétrospectif de l’enquête SRCV 2019 évalue les conditions de vie des individus à l’adolescence en posant trois questions ciblées sur l’incapacité à partir en vacances, le manque quotidien de protéines et le déficit de matériel scolaire, tous attribués à des contraintes financières (voir Schéma 1 page suivante). Ces éléments sont cruciaux pour comprendre les besoins spécifiques au développement cognitif, sanitaire, et culturel de l’adolescent. Dans un esprit comparable au nouvel indicateur de privation des enfants européens[23], ces questions spécifiques à l’adolescent sont complétées par un item évaluant la situation financière globale du ménage durant cette période. Analysées conjointement, ces quatre dimensions offrent une évaluation plus précise de l’environnement de l’adolescent.

Schéma 1 − Indicateur de précarité à l’adolescence

Source : France Stratégie

Si l’on retient au moins deux des quatre critères mentionnés pour définir une situation de précarité à la période de l’adolescence[24], 13,1 % des individus de l’échantillon sont concernés[25]. Ce taux est un peu plus important chez les femmes (13,9 %) que chez les hommes (12 %)[26]. Le ratio est un peu plus restrictif que l’indicateur européen de privation, une nécessité due au volume limité d’informations disponibles et au risque d’un biais inverse sur les questions rétrospectives. En effet, la situation actuelle de l’individu pourrait potentiellement affecter sa propre perception de son adolescence. Pour objectiver en partie ce facteur, nous pouvons analyser l’environnement familial de l’adolescent. En effet, plusieurs caractéristiques corrélées avec la pauvreté sont, au contraire, peu susceptibles d’être influencées par la perception actuelle de l’individu. C’est par exemple le cas de certaines configurations familiales spécifiques[27], comme les familles monoparentales et nombreuses.

Tableau 1 − Caractéristiques familiales à l’adolescence selon le statut de précarité (en %)

* Les grandes villes représentent des villes de plus de 100 000 habitants, les villes moyennes des villes de 10 000 à 100 000 habitants et notre dernière catégorie  des villes ou villages moins de 10 000 habitants. 

Champ : individus âgés de 30 à 54 ans en 2019, résidant en ménage ordinaire en France métropolitaine. 

Lecture : 3,3 % des individus étant en situation de précarité à l’adolescence avaient au moins un parent diplômé du supérieur, contre 22,7 % des adolescents qui  n’étaient pas en situation de précarité. 

Source : enquête SRCV 2019, Insee ; calculs France Stratégie

Le tableau 1 présente les caractéristiques de nos deux groupes d’études — les anciens adolescents précaires et non précaires — ainsi que de notre échantillon au niveau global. Sans surprise, nous observons que les adolescents en situation de précarité vivaient dans des environnements beaucoup moins favorables : ces derniers avaient plus souvent une mère inactive, vivaient plus souvent dans un ménage monoparental ou encore dans une famille nombreuse[28]. Les écarts les plus importants entre les anciens adolescents précaires et les autres concernent le fait d’avoir au moins un parent diplômé du supérieur (près de sept fois moins fréquent chez les personnes en situation de précarité à l’adolescence), d’avoir un parent absent ou décédé[29] (près de trois fois plus fréquent), d’avoir deux parents immigrés (plus de deux fois plus fréquent) et de vivre dans un ménage monoparental (près de deux fois plus fréquent). Enfin, il est important de noter la proportion beaucoup plus importante de personnes qui ne sont pas nées en France parmi les anciens adolescents précaires, ce qui pourrait être un indicateur du fait de ne pas avoir grandi et réalisé leurs études dans l’Hexagone pour une partie d’entre eux. Dans l’ensemble, les résultats montrent que les adolescents identifiés comme précaires proviennent majoritairement de ménages aux profils associés à la pauvreté, ce qui renforce notre confiance en cet indicateur.

À l’âge adulte, des caractéristiques bien moins favorables, mais des trajectoires hétérogènes

Sans surprise, les individus en situation de précarité à l’adolescence présentent en moyenne des situations bien plus modestes à l’âge adulte[30]. Près d’un ancien adolescent précaire sur quatre n’a obtenu que le diplôme national du brevet (DNB) ou moins, contre un sur dix pour les autres. Ils sont également deux fois moins nombreux à être diplômés du supérieur (Tableau 2). On retrouve ces écarts en termes de catégorie socioprofessionnelle : plus de six anciens adolescents précaires sur dix sont aujourd’hui employés ou ouvriers, contre environ quatre sur dix chez les autres. Enfin, ils vivent plus souvent dans des types de ménages associés à un risque accru de pauvreté (ménage monoparental, famille nombreuse), et sont deux fois plus nombreux à vivre dans un logement surpeuplé, et plus fréquemment atteints de maladies chroniques. Il existe néanmoins une certaine hétérogénéité dans les typologies de parcours des anciens adolescents précaires, qui connaissent pour certains une forme d’ascension sociale. En effet, près d’un sur quatre est diplômé du supérieur, un sur trois est cadre ou exerce une profession intermédiaire.

Tableau 2 − Caractéristiques à l’âge adulte selon le statut de précarité à l’adolescence (en %)

* Les grandes villes représentent des villes de plus de 100 000 habitants, les villes moyennes des villes de 10 000 à 100 000 habitants et notre dernière catégorie  des villes ou villages moins de 10 000 habitants. 

Champ : individus âgés de 30 à 54 ans en 2019, résidant en ménage ordinaire en France métropolitaine. 

Lecture : 3,3 % des individus étant en situation de précarité à l’adolescence avaient au moins un parent diplômé du supérieur, contre 22,7 % des adolescents qui  n’étaient pas en situation de précarité. 

Source : enquête SRCV 2019, Insee ; calculs France Stratégie

On retrouve cette hétérogénéité en termes de niveau de vie à l’âge adulte (Graphique 1). D’un côté, une importante proportion de ceux qui ont connu la précarité durant l’adolescence reste concentrée dans le bas de la distribution, avec près d’une personne sur trois ayant un niveau de vie parmi les 20 % les plus faibles à l’âge adulte. Les personnes ayant connu la précarité durant l’adolescence ont un risque 1,8 fois plus élevé que les autres de figurer parmi les 20 % ayant le niveau le plus faible, un ratio quasi identique au rapport de probabilité trouvé par Kenedi et Sirugue (2023) pour les enfants issus des 20 % familles aux revenus les plus faibles (voir supra). D’un autre côté, certains parviennent également à atteindre le haut de la distribution : un peu plus d’un sur dix se trouve parmi les 20 % les plus aisés, ou encore 30 % parmi les 40 % les plus aisés.

Distribution des quintiles de niveau de vie à l’âge adulte selon le statut de précarité à l’adolescence

Champ : individus âgés de 30 à 54 ans en 2019, résidant en ménage ordinaire  en France métropolitaine. Moyenne d’âge de 42 ans. 

Lecture : 31,5 % des anciens adolescents précaires ont un niveau de vie parmi  les 20 % les plus faibles (Q1) à l’âge adulte. 

Source : enquête SRCV 2019, Insee ; calculs France Stratégie

Un risque accru de pauvreté en conditions de vie à l’âge adulte, particulièrement chez les femmes

Notre indicateur de précarité à l’adolescence nous a permis d’identifier les anciens « adolescents précaires », non seulement du fait des faibles revenus du ménage dans lequel ils vivaient, mais également en fonction de critères relatifs à leur bon développement. Les premiers résultats descriptifs montrent que leurs situations à l’âge adulte sont en moyenne bien moins favorables, avec une part importante des individus restant en bas de la distribution des revenus. L’objectif de cette partie est de se concentrer spécifiquement sur le lien entre la précarité à l’adolescence et la pauvreté en conditions de vie à l’âge adulte : les anciens adolescents précaires sont-ils (plutôt) destinés à le rester ?

Pour commencer, nous comparons simplement les taux de pauvreté « brut », c’est-à-dire corrigé de l’hétérogénéité liée à l’âge et au sexe entre nos deux groupes (Graphique 2). Sans surprise, les anciens adolescents précaires vivent bien plus souvent sous le seuil de pauvreté en conditions de vie. Un peu moins d’une personne sur quatre ayant connu une situation de précarité à l’adolescence est pauvre en termes de conditions de vie à l’âge adulte, contre environ une sur dix pour les anciens adolescents non précaires[33]. Le poids de cette transmission semble néanmoins très différencié selon le sexe. Les femmes ayant connu une situation de précarité à l’adolescence ont en effet un taux de pauvreté à l’âge adulte de 17 points supérieurs aux femmes n’ayant pas connu cette situation à l’adolescence. Chez les hommes, cet écart est d’environ 7 points de pourcentage.

Graphique 2 − Taux de pauvreté « brut » en conditions de vie, selon le statut de précarité à l’adolescence et le sexe

* Corrigé des effets d’âges entre nos deux groupes, et des effets de sexe pour  l’ensemble. 

Champ : individus âgés de 30 à 54 ans en 2019, résidant en ménage ordinaire  en France métropolitaine. 

Lecture : 23,4 % des individus qui étaient en situation de précarité à l’adolescence sont en situation de pauvreté en conditions de vie, contre 10,4 % des  anciens adolescents non précaires. 

Source : enquête SRCV 2019, Insee ; calculs France Stratégie

Comment expliquer des écarts aussi importants entre nos deux catégories de population, tout comme cette importante différence selon le sexe ? Est-ce un effet direct de la précarité ? Par quels canaux peut-elle se transmettre ? Afin d’isoler l’effet propre de la précarité à l’adolescence, notre analyse se fera principalement à contexte familial comparable. Des caractéristiques liées à l’environnement familial de l’adolescent peuvent en effet influencer les trajectoires individuelles. Ces effets sont ainsi endogènes à la probabilité d’être pauvre à l’âge adulte : par exemple, le faible niveau d’éducation des parents influence grandement la réussite scolaire de leurs enfants. Le niveau de diplôme étant un facteur protecteur de la précarité à l’âge adulte, analyser la corrélation entre la situation de précarité à l’adolescence et le fait d’être pauvre à l’âge adulte sans tenir compte du niveau d’éducation des parents pourrait en effet biaiser nos résultats[34]. Nous contrôlons ainsi huit caractéristiques liées à l’environnement familial de l’adolescent (Schéma 2), caractéristiques qui lui sont exogènes, étant donné ses faibles chances de les influencer[35]. Cela nous permet d’obtenir des résultats exempts des effets de composition interne liés aux caractéristiques sociodémographiques de nos deux groupes d’études (voir l’Encadré 2).

Notre analyse a pour principale variable d’intérêt l’indicateur français de « pauvreté en conditions de vie ». Nous l’avons privilégié au nouvel indicateur de privation matérielle et sociale européen car il reflète mieux la complexité des ménages français, offrant une gamme plus étendue d’indicateurs spécifiques (27 contre 9). Nous comparons deux groupes distincts : ceux ayant vécu une situation de précarité à l’adolescence, et ceux n’y ayant pas été exposé. Comme dans d’autres travaux de France Stratégie, nous utilisons un modèle probit pondéré. Contrairement à une régression linéaire, la valeur des coefficients ne peut pas être interprétée directement : nous calculons ainsi à partir des valeurs prédites du modèle des effets marginaux moyens. En effet, cela nous permet de réexprimer la relation entre une variable explicative et la variable d’intérêt en termes de points de pourcentage. Nous préférons cette méthode aux calculs d’odds-ratios car la comparaison d’effets marginaux moyens entre plusieurs modèles emboîtés semble plus robuste que la comparaison des odds-ratios à l’hétérogénéité inobservée[31]. Les effets marginaux sont calculés à partir de la fonction « margins »[32]. Ainsi, l’équation de notre modèle probit correspond à :

Avec ϕ la fonction de répartition cumulative de la distribution normale standard ; β0 l’ordonnée à l’origine ; 1 le coefficient associé à la variable de précarité à l’adolescence ou encore XβContextefamilial le vecteur de coefficient associé aux variables de contexte familial et ϵ le terme d’erreur. Un terme d’interaction sera parfois également ajouté à notre équation (le produit de la précarité à l’adolescence et du sexe, par exemple). L’effet marginal moyen pour la variable Xj est ensuite calculé comme la moyenne de ces effets marginaux individuels sur toutes les observations :

Schéma 2 − Raisonner à environnement familial comparable durant la période de l’adolescence

Source : France Stratégie

Ces facteurs peuvent ainsi potentiellement influencer la probabilité d’être pauvre à l’âge adulte, indépendamment du statut de précarité à l’adolescence. Ainsi, le tableau 3 (modèle 2) permet d’observer les différents effets contrôlés des autres caractéristiques de l’environnement familial. Cela nous permet de comparer l’effet de la précarité adolescente sur la probabilité d’être pauvre à l’âge adulte, après prise en compte de l’environnement familial de l’adolescent.

Tableau 2 − Caractéristiques à l’âge adulte selon le statut de précarité à l’adolescence (en %)

Champ : individus âgés de 30 à 54 ans en 2019, résidant en ménage ordinaire en France métropolitaine. 

Lecture : les anciens adolescents précaires ont, à environnement familial comparable, un taux de pauvreté 6,65 points supérieurs aux individus n’ayant pas connu  de situation de précarité à l’adolescence. 

Source : enquête SRCV 2019, Insee ; calculs France Stratégie

Grandir en situation de précarité à l’adolescence a toujours un effet significatif sur la probabilité d’être pauvre à l’âge adulte, même en comparant des personnes de milieux familiaux équivalents. En effet, les anciens adolescents précaires ont toujours des taux de pauvreté 6,7 points supérieurs à ceux qui n’ont pas connu cette précarité. Contrôler ces éléments de contexte familial à l’adolescence diminue d’environ 50 % les écarts bruts entre nos deux échantillons, par rapport à l’écart de 13 points montré dans le graphique 2 (observable dans le modèle 1). Les trois facteurs liés à l’environnement qui jouent le plus fortement sur la probabilité d’être pauvre à l’âge adulte sont le fait d’avoir des parents avec un faible niveau de diplôme, de ne pas être né en France, et le degré d’urbanisation de la commune de résidence. Par exemple, les individus dont les parents ont un diplôme inférieur au baccalauréat ont des probabilités 6,7 points plus élevées d’être pauvres à l’âge adulte que ceux dont les parents ont un diplôme de l’enseignement supérieur. Les personnes nées à l’étranger ont également des taux de pauvreté 7,7 points supérieurs à celles nées en France.

Un écart entre femmes et hommes moins marqué en matière de pauvreté chronique

Des études récentes ont souligné la pertinence d’analyser les trajectoires de pauvreté de manière longitudinale, sur la durée, et non plus seulement dans sa dimension transversale. De telles analyses permettent de distinguer les périodes de pauvreté transitoire, marquées par un bref passage sous le seuil de pauvreté, de la pauvreté chronique, durable et profonde[36]. En effet, certains individus peuvent osciller autour du seuil de pauvreté, entrer et sortir de la pauvreté en fonction des divers chocs de la vie ou des fluctuations de la conjoncture économique. D’autres, en revanche, peuvent s’y trouver de manière persistante. Nous définissons ainsi la persistance de la pauvreté comme le fait d’y avoir été confronté trois années d’affilée, entre 2017 et 2019. Nous raisonnons une nouvelle fois à contexte familial donné, après avoir tout d’abord présenté les écarts « bruts ». Le graphique 3 compare les résultats entre nos deux indicateurs. L’échelle de gauche permet d’observer l’écart en points entre nos deux échantillons. Pour bien interpréter ces écarts, ces derniers doivent être ramenés à leur taux de référence[37] ; c’est ce qu’indique l’échelle de droite, qui traduit le risque relatif de devenir pauvre en conditions de vie à l’âge adulte pour un ancien adolescent précaire comparativement à un ancien adolescent non précaire.

Graphique 3 − Écarts de taux de pauvreté en conditions de vie et risque relatif de tomber dans la pauvreté à l’âge adulte selon le statut de précarité à l’adolescence

Champ : individus âgés de 30 à 54 ans en 2019, résidant en ménage ordinaire en France métropolitaine. 

Lecture : en 2019, le taux de pauvreté en conditions de vie des anciens adolescents précaires était supérieur de 13 points de pourcentage à celui des personnes  n’ayant pas connu cette situation de précarité à l’adolescence. En comparant des individus ayant les mêmes caractéristiques familiales à l’adolescence (niveau  de diplôme des parents, origine migratoire, etc., voir schéma 2), ce taux restait supérieur de 6,7 points de pourcentage (échelle de gauche), soit un risque de  devenir pauvre 1,6 fois plus élevé (échelle de droite). 

Source : enquête SRCV 2017-2019, Insee ; calculs France Stratégie

Un peu plus de 10 % des anciens adolescents précaires vivent ainsi dans une forme de pauvreté en conditions de vie persistante à l’âge adulte, contre un peu moins de 5 % des anciens adolescents non précaires. À environnement familial comparable, les anciens adolescents précaires ont 1,6 fois plus de risque de connaître une pauvreté persistante à l’âge adulte que ceux qui n’ont pas connu de situation de précarité. Ce surrisque est similaire à celui mesuré sur une seule année donnée.

Nous avons vu précédemment que la pénalité associée à la précarité à l’âge adulte était nettement plus élevée pour les femmes que pour les hommes (10 points de pourcentage de plus). Nous cherchons dorénavant à déterminer si cette pénalité reste aussi forte une fois l’environnement familial contrôlé, et si elle se manifeste aussi en matière de pauvreté chronique. Le graphique 4 présente les résultats par sexe, à caractéristiques familiales comparables à l'adolescence, avec les intervalles de confiance à 95 %, étant donné les plus faibles effectifs à notre disposition sur la période 2017-2019.

Graphique 4 − Écarts de taux de pauvreté en conditions de vie et risque relatif à l’âge adulte, selon le sexe et le statut de précarité à l’adolescence

Note : les barres noires représentent l’intervalle de confiance en points de pourcentage (échelle de gauche) à 95 %. Champ : individus âgés de 30 à 54 ans en 2019, résidant en ménage ordinaire en France métropolitaine. 

Lecture : 11 % des femmes n’ayant pas connu de situation de précarité à l’adolescence sont en situation de pauvreté en conditions de vie à l’âge adulte. Ce taux  est 10 points de pourcentage supérieurs chez les femmes ayant connu une situation de précarité à l’adolescence (échelle de gauche). Ainsi, le risque de connaître  la pauvreté pour les anciennes adolescentes précaires est 1,9 fois (ou 90 %) supérieur à celui des femmes n’ayant pas connu de situation de précarité à l’adolescence, à environnement familial comparable (échelle de droite). 

Source : enquête SRCV 2017-2019, Insee ; calculs France Stratégie

La reproduction de la pauvreté est plus marquée pour les femmes, même en contrôlant l’environnement familial : une femme ayant connu la précarité à l’adolescence a ainsi 1,9 fois plus de risque d’être pauvre (en termes de conditions de vie) à l’âge adulte qu’une femme n’ayant pas connu cette situation. Cette pénalité est égale à 1,2 seulement pour les hommes. Exprimé en termes absolus, le surcroît de probabilité d’être pauvre quand on a été précaire à l’adolescence est de 10 points de pourcentage pour les femmes, contre 2 points pour les hommes (ce dernier écart n’étant cependant pas significatif à 95 %[38]). Cet écart reste inchangé même quand on tient compte des caractéristiques liées au contexte familial, qui n’influencent pas de façon homogène les adolescents de sexes opposés. En effet, le fait d’avoir des parents non diplômés a un impact plus élevé de plus de 4 points de pourcentage pour les femmes, même si son influence reste significative chez les hommes. Le risque de devenir pauvre est également significativement plus important pour les femmes vivant à l’adolescence dans un ménage monoparental que pour les hommes, quand le fait d’être né à l’étranger est au contraire plus défavorable aux hommes[39].

Le diagnostic en matière de pauvreté chronique est inchangé en moyenne, avec un surrisque de pauvreté égal à 1,6 pour les anciens adolescents précaires, mais substantiellement différent lorsqu’on s’intéresse aux écarts selon le genre, qui sont moins marqués : le surrisque est de 1,7 pour les femmes et de 1,5 pour les hommes (à comparer à 1,9 et 1,2 pour la pauvreté une année donnée[40]). L’écart selon le genre de la pénalité associée à la précarité adolescente est également moins marqué lorsqu'on s'intéresse aux niveaux de vie. S’agissant du taux de pauvreté monétaire, l’écart est de 5 points[41], contre 10 points pour le taux de pauvreté en conditions de vie. Et le risque de figurer parmi les 20 % les plus pauvres est multiplié par 1,9 pour les anciennes adolescentes précaires, contre 1,7 pour les anciens adolescents précaires.

Même si l’ampleur de l’écart dépend de l’indicateur retenu, il se confirme ainsi que la « pénalité précarité à l’adolescence » affecte les femmes de manière plus prononcée. Comment l’expliquer ?

Comprendre les canaux de cette transmission : des effets directs sur la scolarité

Le diplôme est un déterminant majeur du niveau de vie à l’âge adulte. Ce dernier agit comme un facteur protecteur : plus le niveau de diplôme est élevé, plus le risque de se situer sous le seuil de pauvreté est faible[42]. Pour analyser l’impact précis de la précarité à l’adolescence sur le parcours scolaire, nous examinons les différences de probabilités d’obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur, d’atteindre au moins le niveau du baccalauréat, et de quitter le système scolaire sans diplôme (brevet des collèges ou moins) entre nos deux échantillons, en comparant une nouvelle fois des individus de même sexe. Afin de séparer l’effet de la pauvreté des effets structurels liés au contexte familial — qui, selon Boutchenik et al. (2015)[43], expliquent près de la moitié des écarts de niveau de diplôme —, nous analysons à nouveau les écarts à contexte familial à l’adolescence donné. Le graphique 5 présente ces résultats.

Graphique 5 − Probabilité relative de réussite scolaire des anciens adolescents précaires, à environnement familial comparable

Note : tous les résultats sont significatifs au seuil de 1 %. 

Champ : individus âgés de 30 à 54 ans en 2019, résidant en ménage ordinaire  en France métropolitaine. 

Lecture : un homme ayant connu une situation de précarité à l’adolescence a  25 % de chance en moins d’obtenir un diplôme du supérieur qu’un homme qui  n’a pas connu cette situation de précarité à l’adolescence. 

Source : enquête SRCV 2019, Insee ; calculs France Stratégie

Le résultat le plus significatif concerne la probabilité de sortir sans diplôme : en effet, les anciens adolescents précaires ont près de 54 % de risque en plus que les anciens adolescents non précaires de sortir sans diplôme, à contexte familial comparable à l'adolescence. Ce risque est un peu accru parmi les femmes (60 %, contre 48 % pour les hommes), qui présentent néanmoins en moyenne des taux de sorties sans diplôme inférieurs aux hommes[44]. Concernant la probabilité d’obtenir le baccalauréat et un diplôme du supérieur, la pénalité est globalement équivalente pour les deux sexes : hommes et femmes ayant connu une situation de précarité à l’adolescence ont environ 17 % de chance en moins d’obtenir le baccalauréat et 25 % de chance en moins d’obtenir un diplôme du supérieur, à contexte familial équivalent.

Grandir dans une situation de précarité à l’adolescence joue donc de façon très significative sur le niveau de diplôme obtenu. À niveau de diplôme équivalent, existe-t-il encore des écarts entre nos deux populations d’anciens adolescents ? Nous analysons ici l’effet du niveau de diplôme sur l’écart inexpliqué du taux de pauvreté en conditions de vie entre nos deux populations. Cependant, nous ne parlons plus ici de « risque de devenir pauvre ». En effet, comparer des individus de même niveau de diplôme pourrait introduire des biais dans nos estimations du fait d’un effet de sélection. Des facteurs non quantifiables tels que les différences d’aptitude ou la motivation des parents rendraient alors nos deux groupes fondamentalement incomparables. Nous cherchons simplement ici à déterminer l’impact du niveau de diplôme sur le taux de pauvreté à l’âge adulte entre nos deux populations[45].

Le graphique 6 montre qu’alors que le niveau de diplôme explique presque la totalité des (faibles) écarts entre nos deux échantillons chez les hommes, il reste encore un écart non expliqué très important parmi les femmes (7 points). Il apparaît ainsi que la transmission de la pauvreté affecte de manière plus prononcée les femmes, et par d’autres canaux que la scolarité. Étant donné les plus faibles effectifs à notre disposition sur trois ans, nous ne pouvons pas faire le même exercice sur le taux de pauvreté chronique, ou les écarts entre les hommes et les femmes sont pourtant moins marqués.

Graphique 6 − Écarts de taux de pauvreté en conditions de vie en 2019 selon le sexe et le statut de précarité à l’adolescence, à contexte familial et niveau de diplômes comparables

Champ : individus âgés de 30 à 54 ans en 2019, résidant en ménage ordinaire  en France métropolitaine. 

Lecture : à caractéristiques familiales comparables à l’adolescence, les femmes  ayant connu une situation de précarité à cet âge ont toujours des taux de pauvreté en conditions de vie en 2019 10 points supérieurs aux autres femmes. Cet  écart est toujours de 7,3 points à diplôme équivalent (en 11 modalités). 

Source : enquête SRCV 2019, Insee ; calculs France Stratégie

Des risques accrus de situation monoparentale chez les anciennes adolescentes précaires

Pour approfondir notre compréhension de la transmission de la pauvreté chez les femmes, au-delà du contexte familial et du niveau de diplôme, nous nous concentrons sur trois points clés. Premièrement, nous cherchons à déterminer si les femmes ayant connu une situation de précarité à l’adolescence ont un risque accru de vivre dans un ménage monoparental à l’âge adulte. Deuxièmement, nous examinons si ces dernières vont également plus souvent avoir au moins trois enfants. Enfin, nous analysons dans quelle mesure leur probabilité d’occuper une position sociale modeste — employée ou ouvrière — est impactée. Nous comparons ainsi à nouveau des personnes de même sexe, tout en tenant compte d’un environnement familial similaire durant l’adolescence[46].

À environnement familial comparable, la probabilité des anciennes adolescentes précaires d’être en situation de monoparentalité est près de 40 % supérieure à celles des autres femmes (Graphique 7). Elles exercent plus souvent des professions modestes (+22 %), ce qui est également un reflet direct de leurs niveaux de diplômes inférieurs. En revanche, elles ne semblent pas significativement avoir plus souvent trois enfants ou plus, résultat qui pourrait néanmoins être dû à notre manque de puissance statistique. Ces nouveaux résultats n’expliquent cependant pas tout : même en contrôlant le type de ménage[47] et le nombre d’enfants, l’écart inexpliqué de taux de pauvreté en conditions de vie reste de 5,7 points (Graphique 8) entre nos deux échantillons féminins.

Graphique 7 − Probabilité relative de vivre à l’âge adulte dans une situation familiales ou professionnelles propice à la précarité, parmi les femmes et à environnement familial comparable à l'adolescence

Note : les ronds non remplis signifient que le résultat est non significatif. 

Champ : individus âgés de 30 à 54 ans en 2019, résidant en ménage ordinaire  en France métropolitaine. 

Lecture : à caractéristiques familiales comparables à l’adolescence, les femmes  ayant connu une situation de précarité à cet âge ont 39 % de risque supplémentaire de vivre dans un ménage monoparental à l’âge adulte, comparativement  aux femmes n’ayant pas connu cette situation de précarité à l’adolescence. 

Source : enquête SRCV 2019, Insee ; calculs France Stratégie

Graphique 8 − Écarts de taux de pauvreté en conditions de vie parmi les femmes selon le statut de précarité à l’adolescence, à contexte familial, niveau de diplômes, type de ménage et nombre d’enfants similaires

Champ : femmes âgées de 30 à 54 ans en 2019, résidant en ménage ordinaire  en France métropolitaine. 

Lecture : à caractéristiques familiales similaires à l’adolescence, puis niveau de  diplôme, type de ménage et nombre d’enfants similaires à l’âge adulte, les  femmes ayant connu une situation de précarité à l’adolescence ont toujours  des taux de pauvreté en conditions de vie à l’âge adulte 5,7 points supérieurs  aux autres femmes. 

Source : enquête SRCV 2019, Insee ; calculs France Stratégie

Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ce dernier écart, mais ne sont malheureusement pas vérifiables à partir des données à notre disposition.

Premièrement, la précarité à l’adolescence aurait un effet plus important chez les femmes que chez les hommes car les possibilités de sortir de la pauvreté via le marché du travail, notamment en cas de faible diplôme, seraient moindres pour elles. Des travaux précédents de France Stratégie ont ainsi montré que les écarts entre femmes d’origine sociale différente sont davantage liés au poste de travail que pour les hommes (21 % contre 9 % pour les hommes) et au taux d’emploi (5 % contre 0 %)[48]. Les données utilisées ne nous permettent malheureusement pas d’observer finement ces différences de situation sur le marché du travail, notamment car les effectifs à notre disposition ne sont plus assez nombreux. De même, nous ne disposons pas d’informations sur l’âge des individus à la naissance de leur premier enfant, alors que certaines études sur données américaines font état d’une forte corrélation entre le fait d’avoir un enfant jeune[49] et la probabilité d’avoir des revenus faibles[50]. À partir des données françaises, une étude montre également sur différentes cohortes qu’avoir un enfant en début de vie professionnelle est une pénalité plus importante en termes de revenus du travail ou encore de taux d’emploi chez les mères ayant un faible niveau d’éducation (baccalauréat ou moins)[51].

Deuxièmement, l’écart inexpliqué pourrait également être lié à des effets de territoire, d’autres travaux montrant que les perspectives de revenus à l’âge adulte augmentent avec le niveau de richesse du territoire d’origine[52], la question de la mobilité géographique étant ainsi prépondérante. Dans l’enquête SRCV, nous ne disposons malheureusement que des zones d’études et d’aménagement du territoire (ZEAT), qui ne constituent pas un niveau assez fin pour identifier cet effet.

Enfin, il reste l’hypothèse d’un biais cognitif entre hommes et femmes dans les déclarations rétrospectives, si ces dernières avaient par exemple une appréciation moins favorable de leur situation durant l’enfance, notamment lorsqu’elles sont actuellement en situation de précarité.

Conclusion

À partir d’un indicateur original de précarité à l’adolescence, ce travail propose pour la première fois d’analyser les trajectoires des « adolescents précaires » en France, et de façon plus nuancée qu’à partir des indicateurs de pauvreté habituels. Notre analyse montre qu’à environnement familial comparable, les anciens adolescents précaires avaient 1,6 fois plus de risque d'être pauvres en conditions de vie en 2019, tout comme de connaître la pauvreté sans interruption de 2017 à 2019. Ces parcours sont néanmoins très différenciés selon le sexe, la transmission de la pauvreté étant bien plus significative chez les femmes, particulièrement pour la pauvreté une année donnée. Le parcours scolaire apparaît comme un canal important de transmission de la pauvreté à l’âge adulte, et donc comme l’un des principaux leviers de réduction de l’inégalité des chances liée au milieu familial.

Cette première analyse pourrait être complétée dans plusieurs directions. Tout d’abord, en poursuivant l’analyse des trajectoires individuelles des « enfants pauvres », à l’aube de l’introduction de nouveaux indicateurs visant à mieux prendre en compte les effets de la pauvreté sur les conditions de vie et l’accès à certains besoins essentiels au développement des enfants. Ensuite, en complétant nos résultats par des recherches explorant la transmission de la pauvreté sous un angle monétaire. Cela devrait être possible en France dans les prochaines années grâce aux données longitudinales de l’échantillon démographique permanent (EDP), dont la configuration devrait à terme permettre de suivre les mêmes individus de l’adolescence jusqu’à un âge adulte stabilisé. Enfin, la robustesse des résultats de notre analyse pourrait être renforcée en empilant à l’avenir les données de l’enquête SRCV 2019 avec celles du nouveau module sur la transmission des désavantages sociaux de l’enquête 2023[53]. Cela offrirait des conclusions plus précises et faciliterait une comparaison avec d’autres pays européens, fondée sur l’indicateur de précarité à l’adolescence.

[1] Voir respectivement Barasz J. et Furic P. (2023), « La force du destin : poids des héritages et parcours scolaires », La Note d’analyse, n° 125, France Stratégie, septembre ; Galtier B. et Harfi M. (2023), Les politiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes, rapport, France Stratégie, septembre ; Dherbécourt C. et Flamand J. (2023), « Inégalité des chances : ce qui compte le plus », La Note d’analyse, n° 120, France Stratégie, avril. 

[2] L’auteur remercie Muriel Pucci, Hélène Perivier, Jérôme Bourdieu, Anne Solaz, Hicham Abbas, Bénédicte Galtier et Gautier Maigne ainsi que l'équipe SRCV de l'Insee pour leur aide et retour constructif sur la note. 

[3] Voir Rodgers J.-R. (1995), « An Empirical Study of Intergenerational Transmission of Poverty in the United States », Social Science Quarterly, vol. 76(1), p. 175-194. 

[4] Corcoran M. et Adams T. (1997), « Race, sex and the intergenerational transmission of poverty », dans Duncan G. et Brooks-Gunn J. (dir.), Consequences of Growing up Poor, New York, Russell Sage Foundation. 

[5] Wagmiller R. L. et Adelman R. M. (2009), « Childhood and intergenerational poverty. The long-term consequences of growing up poor », National Center for Children in Poverty, novembre ; Ratcliffe C. (2015), « How Does Child Poverty Relate to Adult Success? », Urban Institute, octobre. Également, d’autres recherches menées à l’international, en Finlande et en Angleterre notamment aboutissent à des conclusions plutôt comparables. Voir respectivement Ilpo A., Moisio P. et Niemelä M. (2005), « Intergenerational transmission of poverty in Finland in the 1990s », European Journal of Social Security, vol. 7(3), septembre, p. 253-269 ; Blanden J. et Gibbons S. (2006), The Persistence of Poverty Across Generations, A View from two British Cohorts, rapport, Joseph Rowntree Foundation, avril. Une analyse comparative plus récente, portant sur quatre pays développés (États-Unis, Danemark, Allemagne et Royaume-Uni), révèle une transmission particulièrement marquée aux États-Unis. Voir Parolin Z., Pintro Schmitt R., Esping-Andersen G. et Fallesen P. (2023), « The Intergenerational Persistence of Poverty in High-Income Countries », IZA Discussion Paper n° 16194, mai. 

[6] Kenedi G. et Sirugue L. (2023), « La mobilité intergénérationnelle de revenus en France : une analyse comparative et géographique », Note IPP, n° 95, octobre. 

[7] En partant du même type de raisonnement, l’Observatoire national de pauvreté et de l’exclusion (ONPES) écrivait en 2017 que « l’analyse de la pauvreté des enfants doit permettre d’identifier les enfants qui n’ayant pas accès aux biens et services essentiels, ne peuvent pas bénéficier d’un tel développement à la fois cognitif, personnel et social ». Voir Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (2017), « Enfants pauvres, enfants démunis : quels indicateurs ? », Les cahiers de l’ONPES, n° 1, octobre. 

[8] Pour une présentation de cet indicateur de privation chez les enfants, voir Burricaud F. et Gleizes F. (2017), « Pauvreté en conditions de vie et privations des enfants », Les cahiers de l’ONPES, n° 1, octobre. 

[9] Inspiré de l’indicateur européen de privation des enfants. 

[10] La décision de privilégier l’étude de la pauvreté sous l’angle des conditions de vie plutôt que de son aspect monétaire découle de deux facteurs principaux : d’une part, la particularité de l’enquête SRCV, qui est la référence en matière de conditions de vie, et d’autre part, la perspective d’étudier à l’avenir l’aspect monétaire de la transmission à travers des bases de données administratives. Ces dernières offrent un échantillon considérablement plus vaste et permettent une analyse longitudinale sur une période plus étendue, comme cela pourra être le cas avec l’échantillon démographique permanent (EDP).

[11] Voir Dollé M. (2010), « Quelques réflexions sur les enfants pauvres », 2 mars. 

[12] Brooks-Gunn J. et Duncan G. J. (1997), « The effect of poverty on children », The Future of Children, vol. 7(2), été-automne, p. 55-71 ; Duncan G. J., Yeung W. J., Brooks-Gunn J. et Smith J. R. (1998), « How much does childhood poverty affect the life chances of children? », American Sociological Review, vol. 63(3), juin, p. 406-423. 

[13] Les enfants grandissant dans des foyers à faibles revenus souffrent trois fois plus souvent de surpoids ou d’obésité que ceux dans les foyers plus aisés, entre 2 et 4 ans. Chez les plus jeunes, âgés de 8 à 16 mois, la proportion présentant un faible poids ou un poids élevé est également bien plus importante dans les foyers à faibles revenus. Pour plus d’informations, voir Cour des comptes (2021), La santé des enfants. Une politique à refonder pour réduire les inégalités sociales et territoriales de santé, rapport, décembre. De plus, le développement langagier des enfants est influencé par le milieu socioéconomique de leurs parents. En effet, les enfants dont les parents appartiennent au premier quintile de revenu connaissent en moyenne un volume de mots plus faible et moins diversifié. Voir Grobon S., Panico L. et Solaz A. (2019), « Inégalités socioéconomiques dans le développement langagier et moteur des enfants à 2 ans », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, p. 2-9. 

[14] Six ans après leur entrée au collège, un quart des enfants pauvres ont déjà quitté le système éducatif, contre un dixième pour l’ensemble des jeunes. Ceux qui restent sont par ailleurs plus souvent orientés dans la voie professionnelle, ont plus souvent redoublé. Voir Davaillon A. et Nauze-Fichet E. (2004), « Les trajectoires scolaires des enfants pauvres », Éducation & Formations, n° 70, décembre. 

[15] Comme peut par exemple l’être le panel Study of Income Dynamics (PSID), qui permet de suivre des individus depuis 1968 aux États-Unis. C’est l’enquête longitudinale la plus longue au monde, qui est menée annuellement ou bi-annuellement par le Survey Research Center de l’université de Michigan. Les individus de l’échantillon sont réinterrogés chaque année, et les enfants sont observés lorsqu’ils passent de l’enfance à l’âge adulte. 

[16] La France se caractérise ainsi par une faible mobilité intergénérationnelle des revenus par rapport aux autres pays développés. Seuls 9,7 % des enfants issus des 20 % des ménages aux revenus les plus faibles se retrouvent parmi les 20 % des ménages les plus aisés à l’âge adulte, soit quatre fois moins que les enfants des 20 % des parents les plus aisés. Voir Kenedi G. et Sirugue L. (2023), « La mobilité intergénérationnelle de revenus en France… », op. cit. 

[17] Abbas H. et Sicsic M. (2022), « Qui gravit l’échelle des revenus par rapport à ses parents ? », Insee, document de travail, n° 122, mai. 

[18] Serafino P. et Tonkin R.P. (2014), « Intergenerational transmission of disadvantage in the UK & EU », septembre. Les auteurs trouvent que le niveau d’instruction a le plus grand impact sur la probabilité d’être dans la pauvreté et dans une situation de privation matérielle grave à l’âge adulte. 

[19] Bellani L. et Bia M. (2016), « Intergenerational poverty transmission in Europe: The role of education », Working Paper Series, n° 2016-02, University of Konstanz. Les auteurs constatent qu’en moyenne, dans les 27 pays européens considérés, grandir dans la pauvreté entraîne une augmentation de 4 points de pourcentage du risque d’être dans la pauvreté et entraîne également une diminution de 5 % du revenu équivalent adulte. En outre, ils constatent que l’expérience de la pauvreté pendant l’enfance se traduira par une probabilité plus élevée d’exclusion de l’enseignement secondaire, de 12 points de pourcentage en moyenne.

[20] Jusqu’à 2019, les individus enquêtés étaient suivis pendant neuf ans en France. Cette durée est aujourd’hui de quatre ans. 

[21] Les individus interrogés dans ce module avaient en 2019 entre 25 et 59 ans. 

[22] Pénicaud É., Renaud T. et Rioux L. (2017), « La situation financière se transmet partiellement de génération en génération », Insee Première, n° 1636, février. 

[23] Les données sur la privation des enfants ont été intégrées en 2009, 2014, et 2021, et concernent les enfants âgés de 1 à 15 ans. Dix items spécifiques évaluent la privation chez les enfants, incluant l’achat de vêtements neufs, la possibilité de partir en vacances au moins une fois par an, disposer d’un endroit adapté à domicile pour faire les devoirs, consommer un repas par jour contenant de la viande, du poisson ou un équivalent végétarien, etc., tandis que cinq items supplémentaires relatifs aux ménages (comme l’absence de dettes, l’accès à Internet, etc.) complètent cette évaluation. Historiquement, cet indicateur repose sur les travaux de Guio et al. (2012), qui avaient initialement identifié dix-huit formes de privations Voir Guio A.-C., Gordon D. et Marlier É. (2012), Measuring Material Deprivation in the EU. Indicators for the Whole Population and Child-Specific Indicators, Eurostat ; Gleizes F. et Pla A. (2023), « En 2021, un enfant sur dix ne part pas en vacances pour des raisons financières », Insee Focus, n° 294, mars.

[24] Qui recouvrent près de 82 % des individus ayant déclaré un manque de protéines, 50 % de ceux qui ne partaient pas en vacances, 78 % de ceux qui avaient le sentiment de vivre dans un ménage en situation de précarité financière et 98 % de ceux qui n’avaient pas les matériels scolaires nécessaires. 

[25] Notre taux de précarité à l’adolescence est un peu plus faible que pour l’indicateur de précarité des enfants de 2009 (16,8 %) mais très proche des résultats de l’indicateur de 2014 (13,8 %). Voir Burricaud F. et Gleizes F. (2017), « Pauvreté en conditions de vie et privations des enfants », op. cit. Également, à titre d’information, près de 29,4 % de notre échantillon subissait au moins une restriction, 5,6 % au moins trois. 

[26] Les femmes déclarent notamment plus souvent que les hommes une incapacité à partir en vacances durant leur adolescence (20 % contre 25 %). 

[27] En 2018, 41 % des enfants mineurs issus de familles monoparentales vivent au-dessous du seuil de pauvreté monétaire et sont donc pauvres, contre 21 % de l’ensemble des enfants. Les enfants des familles nombreuses sont également plus souvent pauvres que les autres. Le taux d’emploi est nettement moins élevé pour les mères de familles nombreuses, et pour le parent du ménage monoparental. Voir Algava É., Bloch K. et Robert-Bobée I. (2021), « Les familles en 2020 : 25 % de familles monoparentales, 21 % de familles nombreuses », Insee Focus, n° 249, septembre, Figure 4a.

[28] Du fait des données à notre disposition, les familles nombreuses sont définies ici comme des ménages avec au moins trois enfants de moins de 18 ans. 

[29] L’individu n’a jamais eu aucun contact avec au moins un de ses deux parents. 

[30] La moyenne d’âge de notre échantillon est de 42 ans.

[31] Mood C. (2009), « Logistic regression: Why we cannot do what we think we can do, and what we can do about it », European Sociological Review, vol. 26(1), février, p. 67-82. 

[32] Williams R. (2012), « Using the margins command to estimate and interpret adjusted predictions and marginal effects », The Stata Journal, vol. 12(2), juin. 

[33] Le taux de privation matérielle et sociale, indicateur européen des conditions de vie, traduit relativement les mêmes écarts entre nos deux populations.

[34] On pourrait ainsi interpréter un effet de capital scolaire lié au niveau d’éducation des parents comme un effet de la précarité à l'adolescence. 

[35] Au contraire, en contrôlant par exemple le niveau de diplôme de l’individu, nous aurions des effets de composition biaisant nos probabilités de devenir pauvre en conditions de vie à l’âge adulte selon le statut de précarité à l’adolescence. En effet, de nombreux facteurs non contrôlables pourraient influencer le fait d’obtenir un certain niveau de diplôme, comme des effets de compétence ou de motivation des parents.

[36] Voir Blavier P. (2023), « Les enseignements d’une approche longitudinale de la pauvreté. Le cas de la France au cours des deux premières décennies du XXIe siècle », LIEPP, Working Paper n° 150, septembre. La pauvreté chronique renvoie à des facteurs structurels, la pauvreté transitoire étant elle plutôt liée à des évolutions conjoncturelles. De plus, en exploitant le panel SRCV à neuf années sur deux périodes entre 2004 et 2019, Blavier montre que pas moins de 30 % de la population connaît au moins un épisode de pauvreté monétaire au cours des neuf années de suivi. Voir également CNLE – Drees (2021), Trajectoires et parcours des personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale. Actes du séminaire de recherche, octobre. 

[37] En effet, un écart de 10 points avec un taux de référence à 10 % ne traduit pas la même intensité qu’un écart de 10 points avec un taux de référence à 5 %. Le risque relatif (échelle de droite du Graphique 3) permet de traduire ces différences.

[38] Étant donné les faibles échantillons à notre disposition, cela pourrait traduire à la fois un effet non significatif de la précarité à l’adolescence parmi les hommes, mais également un manque de puissance statistique pour obtenir des résultats plus précis. 

[39] Ces résultats complémentaires liés aux effets d’interactions entre différentes composantes du milieu familial à l’adolescence et le sexe peuvent être fournis par l’auteur sur demande. 

[40] Ce risque chez les hommes n’est une nouvelle fois pas significatif au seuil de 95%, et reste donc à interpréter avec prudence. 

[41] Le taux de pauvreté monétaire (brut) est de 19,5 % pour les anciens adolescents précaires (11,9 % pour les non précaires), et plus précisément de 21,8 % pour les femmes (respectivement 16,5 % pour les hommes) qui étaient en situation de précarité à l’adolescence, contre 11,9 % (respectivement 12,1 %) pour celles et ceux qui ne l’étaient pas

[42] Voir Observatoire des inégalités (2023), « La pauvreté selon le diplôme », avril. 

[43] Voir Boutchenik B., Coron C., Grobon S., Goffette C et Vallet L.-A. (2015), « Quantifier l’influence totale de la famille d’origine sur le devenir scolaire et professionnel des individus », Économie et statistique, n° 477, juillet. 

[44] À environnement familial comparable à l’adolescence, les femmes ayant connu une situation de précarité à l’adolescence ont des taux de sorties sans diplôme 5,8 points supérieurs aux femmes n’ayant pas connu cette situation, alors que cet écart est de 5,4 points chez les hommes. 

[45] En onze modalités, allant des individus sans diplôme (à comprendre ici sans avoir au moins le certificat d’études primaires, CEP) aux personnes avec au moins une licence ou un équivalent. De plus, pour des questions d’effectifs et étant donné que les effets sont plutôt comparables sur une année donnée ou sur plusieurs années, nous nous concentrons sur la pauvreté en conditions de vie en 2019.

[46] D’autres caractéristiques ont été testées, telles que le taux d’inactivité, ou encore le fait d’être à temps partiel. Néanmoins, le manque de significativité, qui semble directement lié à un manque d’effectif, et le facteur non explicatif des écarts de pauvreté entre nos deux populations nous amène à ne pas les présenter. Ces effets sur le marché du travail devront néanmoins être étudiés plus finement à l’avenir.

[47] En neuf modalités. Nous avons cherché à obtenir une nomenclature plus fine des familles monoparentales, distinguant les mères isolées avec un père défaillant pour le paiement d’une pension ou non. Nous distinguons également les couples dont le conjoint a une profession plutôt favorisée ou modeste. 

[48] Dherbécourt C. et Flamand J. (2023), « Inégalité des chances : ce qui compte le plus », op. cit. 

[49] Situation qui pourrait être beaucoup plus fréquente pour les anciennes adolescentes précaires, qui ont des taux de sorties sans diplôme élevés. 

[50] Boggess S. et Corcoran M. (1999), Cycles of Disadvantage?, Wellington (Nouvelle-Zélande), Institute of Policy Studies. 

[51] Effet qui pourrait potentiellement être encore plus important chez les femmes sans diplôme. Voir Bazen S., Joutard X. et Périvier H. (2024), « Measuring the child penalty early in career: The role of education for different cohorts », working paper, à paraître. 

[52] Dherbécourt C. et Kenedi G. (2020), « Quelle influence du lieu d’origine sur le niveau de vie ? », La Note d’analyse, n° 91, France Stratégie, juin.

[53] Dont les premiers résultats de l’enquête viennent de sortir, voir : Gleizes F. et Solard J. (2024), « La privation matérielle et sociale en 2023 », Insee Focus, n°330, juillet.

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La vie devant soi : adolescence précaire, avenir incertain ?

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Peruyero C. (2024), « La vie devant soi : adolescence précaire, avenir incertain ? », La Note d’analyse, n° 142, France Stratégie, juillet, 16 pages
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Peruyero, C. (2024). La vie devant soi : adolescence précaire, avenir incertain ? La Note d’analyse, Article 142. https://www.strategie.gouv.fr/publications/vie-devant-soi-adolescence-precaire-avenir-incertain
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Peruyero, Clément. « La vie devant soi : adolescence précaire, avenir incertain ? » La Note d’analyse, 2024, p. 16, www.strategie.gouv.fr/publications/vie-devant-soi-adolescence-precaire-avenir-incertain.
ISO 690
PERUYERO, Clément. La vie devant soi : adolescence précaire, avenir incertain ? La Note d’analyse [en ligne]. 2024, 142. Disponible sur : https://www.strategie.gouv.fr/publications/vie-devant-soi-adolescence-precaire-avenir-incertain

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