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Cette étude prospective de France Stratégie a pour objectif de documenter les différents scénarios de réindustrialisation arrêtés par Olivier Lluansi dans la mission qui lui a été confiée en novembre 2023 par le ministre chargé de l’Économie et des Finances et par le ministre délégué à l’industrie sur l’avenir de nos politiques industrielles. Pour réaliser ces travaux, un groupe de travail technique a été mis en place par France Stratégie réunissant administrations (la Direction générale du Trésor, la Direction générale de l’énergie et du climat, la Direction générale des entreprises, le Secrétariat général à la planification écologique et l’Insee) et opérateurs (RTE et BPI France).
Huit scénarios de plus ou moins forte réindustrialisation ont été construits sur la période 2022-2035. Ils se différencient par la part qu’atteint en 2035 la valeur ajoutée manufacturière exprimée en pourcentage du PIB – 8 %, 10 %, 12 % ou 15 % – et pour certains par un accent mis sur les branches manufacturières considérées comme technologiques, sur les branches dites « en amont » ou sur celles « en aval ». Ces huit scénarios offrent un cadre pour répondre notamment aux questions suivantes : quels sont les effets d’une augmentation de la part de la valeur ajoutée manufacturière dans l’économie sur les ressources nécessaires à un tel rebond industriel, telles que l’eau et le foncier ? Sur la consommation d’énergie et les émissions de CO2 ?
L’industrie manufacturière compte 3,1 millions d’emplois en 2022, soit environ 11 % des emplois en France métropolitaine. Une industrie manufacturière à 12 % du PIB pourrait nécessiter la création de 740 000 emplois entre 2022 et 2035, dans le cas où la réindustrialisation se ferait essentiellement par les secteurs aval et technologique. Dans le cas d’une réindustrialisation par l’amont, les emplois progresseraient moins vite, avec potentiellement 580 000 emplois créés d’ici 2035. En termes de métiers, les ouvriers qualifiés et les techniciens et agents de maîtrise seraient les premiers bénéficiaires, en nombre, d’une réindustrialisation à 12 % du PIB. Néanmoins, en relatif, la croissance des effectifs serait la plus forte (plus de 30 %) parmi les ingénieurs et cadres de l’industrie et les personnels d’études et de recherche exerçant dans les secteurs manufacturiers. Le besoin en emplois qualifiés augmenterait nettement plus vite que la part de la valeur ajoutée manufacturière dans le PIB.
Dans tous les scénarios, nous supposons à horizon 2035 une décarbonation dans l’industrie manufacturière. Mécaniquement, cela conduirait à réduire fortement sa consommation directe d’énergies fossiles dans les scénarios centraux (-58 % dans « Tech 10 % » et -45 % dans « Tech 12 % ») et donc ses émissions directes de gaz à effet de serre (-46 % et -32 %, respectivement). Le corollaire de cette baisse des énergies fossiles est une hausse de la consommation d’électricité, qui se traduirait donc par une diminution des exports français d’électricité. L’échéance de 2035 se situant avant une possible mise en service de nouveaux réacteurs nucléaires, ces besoins supplémentaires pourront difficilement provenir intégralement d’une production d’électricité bas-carbone supplémentaire. Dans le scénario « 15 % », la consommation d’électricité excéderait même largement les productions électriques bas-carbone anticipées : il serait alors nécessaire de solliciter de manière accrue les centrales à gaz fossile en France ou en Europe. Néanmoins, une plus forte réindustrialisation, venant se substituer à des productions industrielles étrangères, devrait être favorable à la baisse des émissions, si ce n’est à l’échelle française, du moins à l’échelle mondiale.
L’eau et le foncier sont des ressources naturelles finies dont la tension risque de s’accroître fortement ces prochaines années du fait du changement climatique. Cela impose d’anticiper les besoins potentiels liés à une réindustrialisation de la France. Au total, ces besoins évolueraient très peu dans les scénarios à 10 %, mais la localisation des emplois et des nouvelles usines pourrait avoir un impact différencié selon la disponibilité de ces ressources dans les territoires concernés. Une réindustrialisation à 12 % serait quant à elle synonyme d’intensification des besoins en foncier (de 23 000 à 30 000 hectares supplémentaires d’ici 2035) et en eau. Les prélèvements et la consommation d’eau de l’industrie manufacturière pourraient en effet largement augmenter si aucune amélioration dans les procédés n’est réalisée d’ici là (de 53 % à 60 % selon les scénarios).
Les opinions exprimées dans ce document engagent leurs auteurs
et n'ont pas vocation à refléter la position du gouvernement.