Télécharger la note d'analyse Comment faire enfin baisser les émissions de CO2 des voitures
Urgence. Alors qu’il représente un quart des émissions de GES de l’Union européenne, le secteur des transports est le seul dont les émissions ont augmenté depuis 1990. Parce que les voitures particulières sont responsables de la moitié de ces émissions, l’Union Européenne a fixé un seuil maximum pour les émissions de CO2 moyennes des voitures neuves à 95 grammes par kilomètre en 2021, puis à 60 grammes par kilomètre en 2030. Or ces émissions dépassent 120 grammes en 2018, et ne baissent plus depuis 2016. Si l’objectif de 2021 semble donc hors de portée, celui de 2030 est encore accessible, à condition, explique Nicolas Meilhan, de passer à l’électrique et de réduire le poids des voitures.
Pourquoi les émissions de CO2 des voitures ne baissent pas ?
« Depuis 20 ans, les émissions de CO2 des voitures neuves en conditions de conduite réelle n’ont quasiment pas baissé », constate l’auteur. Pourquoi ?
D’abord parce que l’Europe a pris du retard, en misant dans un premier temps sur un accord volontaire avec les constructeurs automobiles, et en refusant toute forme d’harmonisation de la fiscalité automobile… jusqu’en 2009 et le passage à une logique d’obligation.
Ensuite (et surtout) parce que le poids moyen des voitures neuves a considérablement augmenté – de 10 kg par an en 50 ans en France –, au point de surcompenser la baisse des émissions gagnée via l’optimisation des rendements des moteurs ou l’amélioration de l’aérodynamisme. C’est ce qu’on appelle l’effet rebond. Premier responsable de cette tendance sur la dernière décennie : l’engouement pour les SUVs (abréviation de l'anglais sport utility vehicle, typiquement les « cross-over » en Europe). Des véhicules (dits bicorps) qui peuvent peser jusqu’à 2,5 tonnes – comptez une tonne pour une Twingo à titre de comparaison – et qui s’arrogent aujourd'hui un tiers du marché européen des voitures neuves. Or, si le recours au diesel – dont le rendement des moteurs est supérieur à celui des moteurs à essence – avait permis dans les années 2000 de contrebalancer la hausse des émissions liées à l’augmentation du poids des voitures, le recul de la diésélisation fait aujourd'hui de « la mode du SUV » un handicap environnemental majeur. Et ce, d’autant plus que les ventes de voitures électriques plafonnent, elles, à un niveau inférieur à 3 % en 2018.
Bilan : les émissions de CO2 mesurées en laboratoire ont augmenté en 2017 et 2018, pour la première fois depuis 25 ans. « L’objectif européen des 95 grammes de CO2 en 2021 semble [donc] désormais difficile à atteindre », conclut Nicolas Meilhan. Si la tendance (aux SUVs et aux essences) devait se poursuivre, l’auteur estime en effet que les constructeurs automobiles auront à réduire de 10 g/km les émissions moyennes de CO2 de leurs voitures neuves, chaque année, pendant trois ans, pour espérer atteindre l’objectif européen… ce qui ne s’est jamais produit (même en laboratoire) au cours des vingt dernières années.
La clé du succès : des voitures électriques et plus légères
Passage obligé. Si la nécessité d’électrifier le parc automobile ne fait plus de doute aujourd'hui, ce qu’on sait moins en revanche, c’est que le gain environnemental d’une telle conversion dépend de la taille (du poids) des voitures. D’abord, parce qu’il va sans dire qu’électrique ou thermique, une voiture consomme d’autant plus d’énergie qu’elle est lourde. Ensuite, parce qu’il faut tenir compte de l’impact environnemental d’une voiture sur l’ensemble de son cycle de vie. Or la fabrication des batteries électriques consomme autant d’énergie que la fabrication d’une voiture elle-même. Résultat : aujourd'hui un gros SUV électrique peut émettre plus de CO2 sur son cycle de vie qu’une petite essence !
Aller vers des voitures plus légères est donc un préalable nécessaire. Mais comment y parvenir ? En indexant le bonus/malus – créé pour encourager l’achat de véhicules propres – sur le poids des voitures, suggère l’auteur. Un dispositif déjà appliqué par la Norvège qui peut se targuer d’avoir atteint dès 2016 l’objectif européen des 95 g/km. Un dispositif qui permettrait surtout d’inciter les constructeurs à fabriquer des voitures plus légères et qui rétablirait de l’équité sociale dans la fiscalité : davantage de bonus pour « les petites voitures » sobres en énergie mais un malus sur les « tanks », y compris électriques, achetés par les ménages les plus aisés (pour une utilisation le plus souvent en solo). La Norvège a tenté d’aller un cran plus loin en proposant un projet de loi (finalement rejeté) en faveur de la suppression du rabais aux véhicules électriques de plus de 2 tonnes. À titre d’illustration, si la France adoptait une telle mesure, l’actuel bonus de 6 000 euros dont bénéficie l’acheteur d’une Audi e-Tron – 80 000 euros, 2,5 tonnes dont 700 kg de batteries – se transformerait en un malus de 10 000 euros.
Autre condition nécessaire pour que le passage à l’électrique entraîne vraiment le gain environnemental attendu : produire nos voitures à faibles émissions avec de l’électricité décarbonée. Idéalement, même, encourager la production locale de voitures « propres », au moyen d’une taxe carbone ajustée aux frontières ou, à défaut, de dispositions permettant de conditionner l’octroi des aides au respect d’une norme sur l’empreinte carbone associée à la production et au recyclage des voitures et de leurs batteries. Ce sont du reste des mesures de ce type qui ont permis à la Chine de faire émerger des champions nationaux, avec la rapidité qu’on sait : les premières voitures électriques fabriquées en Chine arriveront sur le marché européen… cette année.
En clair, maintenant que l’Europe dispose d’un vrai plan environnemental, « elle doit impérativement mettre en place un plan industriel lui assurant à moyen terme son autonomie dans la fabrication des voitures à faibles émissions et de leurs batteries », préconise l’auteur. Un plan qui passe aussi par des efforts de recherche pour développer des batteries « sans cobalt », ressource limitée dont le raffinage est contrôlé à 80 % par la Chine et la fin programmée en 2025, et par la mise en place d’une filière de recyclage.
On l’aura compris, pour que la voiture électrique soit réellement une solution d’avenir pour la mobilité individuelle, il est urgent de réorienter le marché vers des voitures plus légères et de penser dès aujourd’hui à limiter les externalités environnementales liées à leur production.