Note d’analyse Comment faire enfin baisser les émissions de CO2 des voitures Réduire « enfin » les émissions de CO2 des voitures nécessite de réorienter le marché vers des voitures plus légères, fabriquées avec de l’électricité décarbonée, et de mettre en place un plan industriel assurant à l’Europe son autonomie dans la fabrication des voitures électriques et de leurs batteries. Publié le : 20/06/2019 Temps de lecture 12 minutes Urgence. Alors qu’il représente un quart des émissions de GES de l’Union européenne, le secteur des transports est le seul dont les émissions ont augmenté depuis 1990. Parce que les voitures particulières sont responsables de la moitié de ces émissions, l’Union Européenne a fixé un seuil maximum pour les émissions de CO2 moyennes des voitures neuves à 95 grammes par kilomètre en 2021, puis à 60 grammes par kilomètre en 2030. Or ces émissions dépassent 120 grammes en 2018, et ne baissent plus depuis 2016. Si l’objectif de 2021 semble donc hors de portée, celui de 2030 est encore accessible, à condition, explique Nicolas Meilhan, de passer à l’électrique et de réduire le poids des voitures. Pourquoi les émissions de CO2 des voitures ne baissent pas ? « Depuis 20 ans, les émissions de CO2 des voitures neuves en conditions de conduite réelle n’ont quasiment pas baissé », constate l’auteur. Pourquoi ? D’abord parce que l’Europe a pris du retard, en misant dans un premier temps sur un accord volontaire avec les constructeurs automobiles, et en refusant toute forme d’harmonisation de la fiscalité automobile… jusqu’en 2009 et le passage à une logique d’obligation. Ensuite (et surtout) parce que le poids moyen des voitures neuves a considérablement augmenté – de 10 kg par an en 50 ans en France –, au point de surcompenser la baisse des émissions gagnée via l’optimisation des rendements des moteurs ou l’amélioration de l’aérodynamisme. C’est ce qu’on appelle l’effet rebond. Premier responsable de cette tendance sur la dernière décennie : l’engouement pour les SUVs (abréviation de l'anglais sport utility vehicle, typiquement les « cross-over » en Europe). Des véhicules (dits bicorps) qui peuvent peser jusqu’à 2,5 tonnes – comptez une tonne pour une Twingo à titre de comparaison – et qui s’arrogent aujourd'hui un tiers du marché européen des voitures neuves. Or, si le recours au diesel – dont le rendement des moteurs est supérieur à celui des moteurs à essence – avait permis dans les années 2000 de contrebalancer la hausse des émissions liées à l’augmentation du poids des voitures, le recul de la diésélisation fait aujourd'hui de « la mode du SUV » un handicap environnemental majeur. Et ce, d’autant plus que les ventes de voitures électriques plafonnent, elles, à un niveau inférieur à 3 % en 2018. Bilan : les émissions de CO2 mesurées en laboratoire ont augmenté en 2017 et 2018, pour la première fois depuis 25 ans. « L’objectif européen des 95 grammes de CO2 en 2021 semble [donc] désormais difficile à atteindre », conclut Nicolas Meilhan. Si la tendance (aux SUVs et aux essences) devait se poursuivre, l’auteur estime en effet que les constructeurs automobiles auront à réduire de 10 g/km les émissions moyennes de CO2 de leurs voitures neuves, chaque année, pendant trois ans, pour espérer atteindre l’objectif européen… ce qui ne s’est jamais produit (même en laboratoire) au cours des vingt dernières années. La clé du succès : des voitures électriques et plus légères Passage obligé. Si la nécessité d’électrifier le parc automobile ne fait plus de doute aujourd'hui, ce qu’on sait moins en revanche, c’est que le gain environnemental d’une telle conversion dépend de la taille (du poids) des voitures. D’abord, parce qu’il va sans dire qu’électrique ou thermique, une voiture consomme d’autant plus d’énergie qu’elle est lourde. Ensuite, parce qu’il faut tenir compte de l’impact environnemental d’une voiture sur l’ensemble de son cycle de vie. Or la fabrication des batteries électriques consomme autant d’énergie que la fabrication d’une voiture elle-même. Résultat : aujourd'hui un gros SUV électrique peut émettre plus de CO2 sur son cycle de vie qu’une petite essence ! Aller vers des voitures plus légères est donc un préalable nécessaire. Mais comment y parvenir ? En indexant le bonus/malus – créé pour encourager l’achat de véhicules propres – sur le poids des voitures, suggère l’auteur. Un dispositif déjà appliqué par la Norvège qui peut se targuer d’avoir atteint dès 2016 l’objectif européen des 95 g/km. Un dispositif qui permettrait surtout d’inciter les constructeurs à fabriquer des voitures plus légères et qui rétablirait de l’équité sociale dans la fiscalité : davantage de bonus pour « les petites voitures » sobres en énergie mais un malus sur les « tanks », y compris électriques, achetés par les ménages les plus aisés (pour une utilisation le plus souvent en solo). La Norvège a tenté d’aller un cran plus loin en proposant un projet de loi (finalement rejeté) en faveur de la suppression du rabais aux véhicules électriques de plus de 2 tonnes. À titre d’illustration, si la France adoptait une telle mesure, l’actuel bonus de 6 000 euros dont bénéficie l’acheteur d’une Audi e-Tron – 80 000 euros, 2,5 tonnes dont 700 kg de batteries – se transformerait en un malus de 10 000 euros. Autre condition nécessaire pour que le passage à l’électrique entraîne vraiment le gain environnemental attendu : produire nos voitures à faibles émissions avec de l’électricité décarbonée. Idéalement, même, encourager la production locale de voitures « propres », au moyen d’une taxe carbone ajustée aux frontières ou, à défaut, de dispositions permettant de conditionner l’octroi des aides au respect d’une norme sur l’empreinte carbone associée à la production et au recyclage des voitures et de leurs batteries. Ce sont du reste des mesures de ce type qui ont permis à la Chine de faire émerger des champions nationaux, avec la rapidité qu’on sait : les premières voitures électriques fabriquées en Chine arriveront sur le marché européen… cette année. En clair, maintenant que l’Europe dispose d’un vrai plan environnemental, « elle doit impérativement mettre en place un plan industriel lui assurant à moyen terme son autonomie dans la fabrication des voitures à faibles émissions et de leurs batteries », préconise l’auteur. Un plan qui passe aussi par des efforts de recherche pour développer des batteries « sans cobalt », ressource limitée dont le raffinage est contrôlé à 80 % par la Chine et la fin programmée en 2025, et par la mise en place d’une filière de recyclage. On l’aura compris, pour que la voiture électrique soit réellement une solution d’avenir pour la mobilité individuelle, il est urgent de réorienter le marché vers des voitures plus légères et de penser dès aujourd’hui à limiter les externalités environnementales liées à leur production. Transcription Fermer la transcription Comment faire baisser les émissions de CO2 et la consommation des voitures ? Pouquoi les émissions de CO2 des voitures ne baissent pas ? L’Union européenne a fixé un seuil maximal pour les émissions de CO2 moyennes des voitures neuves à 95 grammes par kilomètre en 2021, puis à 60 grammes par kilomètre en 2030. Or ces émissions dépassent 120 grammes en 2018 et ne baissent plus depuis 2016. 1/4 des émissions de GES de l’UE sont issues du secteur des transports. 1/2 de ces émissions proviennent des voitures particulières Les raisons de l'échec L’amélioration de l’aérodynamisme des véhicules et du rendement des moteurs, grâce au diesel notamment, a fait baisser les émissions de CO2 des voitures neuves. Des progrès neutralisés par l’augmentation du poids des voitures et la réduction des diesels. Le poids des voitures neuves est de + 10 Kg / an depuis 50 ans en France En 2018, 1 véhicule neuf sur 3 achetés en Europe est un SUV (sport utility vehicle). La moitié des voitures neuves vendues en Norvège en 2018 sont électriques, contre moins de 3 % en France. Les clés du succès : des voitures électriques et plus légères Pour atteindre l’objectif européen des 60 grammes par kilomètre en 2030, il est impératif de passer aux voitures électriques, mais pas à n’importe quelles conditions. Décourager l'achat de véhicules toujours plus lourds Un bonus-malus indexé non seulement sur les émissions de CO2 comme aujourd’hui, mais aussi sur le poids du véhicule contribuerait à dissuader les ménages d’acheter des voitures toujours plus lourdes, même si elles sont électriques. Promouvoir une mobilité du quotidien décarbonée De la marche à pied aux transports en commun en passant par le vélo, c’est l’ensemble des mobilités décarbonées qu’il faut encourager. Un plan industriel européen pour produire des véhicules à faibles émissions... L’Union européenne doit impérativement se doter d’un plan industriel lui assurant à moyen terme son autonomie dans la production des véhicules électriques, et de leurs batteries. Un plan qui passe aussi par des efforts de recherche pour développer des batteries sans cobalt et une filière de recyclage. ... avec de l'électricité à faibles émissions Pour s’assurer que les véhicules à faibles émissions et leurs batteries sont produits avec une électricité peu carbonée, une norme européenne sur le contenu carbone de l’électricité utilisée dans le processus de production pourrait être instaurée. Conclusion Pour que la voiture électrique soit réellement une solution d’avenir pour la mobilité individuelle, il est urgent de réorienter le marché vers des voitures plus légères et de penser dès aujourd’hui à limiter les externalités environnementales liées à leur production. Transcription Fermer la transcription En clair 2.0 - Comment faire enfin baisser les émissions de CO2 des voitures Bonjour, je suis Nicolas Meilhan, spécialiste des questions environnementales à France Stratégie.Le secteur du transport, et notamment la voiture, est le seul secteur qui n'a pas réduit ses émissions de CO2 depuis 1990. Face à l'urgence climatique, comment faire enfin baisser ces émissions de CO2 ? Peu de gens le savent, mais les émissions de CO2 des voitures neuves n'ont quasiment pas baissé ces vingt dernières années. La seule baisse réelle des émissions de CO2 a eu lieu entre 2008 et 2010 avec la crise financière : il s'est vendu moins de grosses voitures et plus de petites voitures, notamment grâce à un véritable bonus-malus. Je propose d'encourager les gens à acheter plutôt des petites voitures que des grosses voitures, en faisant en sorte que ceux qui veulent continuer à s'acheter des grosses voitures aident ceux qui sont prêts à faire un effort pour s'acheter une voiture un peu moins grosse, un peu moins lourde.Un malus sur le poids financerait intégralement un bonus dans un mécanisme redistributif. Ce n'est pas une nouvelle taxe, mais un mécanisme de soutien aux comportements les plus vertueux. L'idée aussi, c'est d'éviter que demain nous conduisions tous des tanks électriques, car le gain environnemental serait plus que limité, pour ne pas dire inexistant. En exonérant les voitures électriques jusqu'à un certain poids, 2 tonnes par exemple, nous proposons enfin d'éviter de fabriquer ces voitures électriques et leurs batteries au charbon. Nous proposons donc de limiter le contenu carbone de l'électricité utilisée pour fabriquer ces voitures électriques et leurs batteries. Quand cette étude de France Stratégie a été publiée en juin dernier, la proposition de bonus-malus sur le poids a reçu un accueil très favorable. Elle est réellement arrivée dans le débat public après l'été par le biais d'amendements qui n'intégraient pas le caractère redistributif de cette proposition, c'est-à-dire le bonus. Ce qui est important, bien évidemment, c'est qu'elle soit portée et appliquée au niveau européen afin d'être réellement efficace. Partager la page Partager sur Facebook - nouvelle fenêtre Partager sur X - nouvelle fenêtre Partager sur Linked In - nouvelle fenêtre Partager par email - nouvelle fenêtre Copier le lien dans le presse-papier Téléchargement Comment faire enfin baisser les émissions de CO2 des voitures Télécharger la note d'analyse 78 PDF - 1 438.0 Ko Thèmes Mobilités/transports Innovation Publié par France Stratégie Auteurs Nicolas Meilhan Citer ou exporter Citer cette publication Fermer Citer cette publication APA Meilhan, N. (2019) . Comment faire enfin baisser les émissions de CO2 des voitures. La note d'analyse de France Stratégie, n° 78(2), 1-12. https://doi.org/10.3917/lna.078.0001. Copier MLA Meilhan, Nicolas. « Comment faire enfin baisser les émissions de CO2 des voitures ». La note d'analyse de France Stratégie, 2019/2 n° 78, 2019. p.1-12. CAIRN.INFO, shs.cairn.info/revue-la-note-d-analyse-2019-2-page-1?lang=fr. Copier ISO 690 MEILHAN, Nicolas. Comment faire enfin baisser les émissions de CO2 des voitures. La note d'analyse de France Stratégie, 2019/2 n° 78, p.1-12. DOI : 10.3917/lna.078.0001. URL : https://shs.cairn.info/revue-la-note-d-analyse-2019-2-page-1?lang=fr. Copier Autres options d'export EN Version Pour aller plus loin Le soutien au développement des véhicules électriques est-il adapté ? Comment accélérer la transition du marché automobile français vers la mobilité électrique ? Les mesures de soutien sont-elles adap... 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