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Point de vue
Publié le
Mercredi 16 Juillet 2014
Les évolutions du prix du gaz depuis début 2014 rendent caduques certaines analyses menées en début d’année.
Réflexions sur les prix actuels du gaz, du charbon, de l’électricité et du CO2

Le rapport publié par France Stratégie en janvier 2014 sur « La crise du système électrique européen » pointait le rôle joué dans cette crise par la faiblesse du prix du CO2 sur le marché d’échange des permis d’émission (European Trading Scheme, ETS). Les raisons en ont été analysées : la baisse de la demande l’électricité et le développement non maîtrisé des énergies renouvelables ont déprimé le marché européen du CO2.

La valeur de 40 ou 50 €/tonne de CO2 avait été avancée comme pouvant permettre au gaz naturel de redevenir compétitif par rapport au charbon, et ainsi exclure de la production d’électricité l’utilisation de ce dernier, très émetteur en gaz à effet de serre. Cette valeur, que la plupart des acteurs politiques gardent en tête, repose sur des prix d’environ 55 €/tonne pour le charbon et de 11 à 12 $/MBtu pour le gaz. Compte tenu des évolutions récentes du prix du gaz, cette référence n’est plus d’actualité.

Si les tensions avec le fournisseur de gaz russe suite à la crise ukrainienne ont laissé craindre un moment une hausse du prix du gaz, renforçant encore le besoin d’un signal-prix du carbone élevé, c’est exactement l’inverse qui s’est produit :
après une période de relative stabilité de près de deux ans, le prix du gaz s’est effondré de 45 % depuis décembre 2013 pour atteindre aujourd’hui 6,4 $/MBtu (valeur spot NBP, la place d’échange londonienne).

Il se rapproche ainsi :

  • du prix du gaz américain, soit 4,6 $/MBtu, qui a progressé tendanciellement depuis début 2012 avec la résorption des surcapacités d’extraction de gaz de schiste, diminuant pour le moment l’avantage compétitif des États-Unis ;
  • de celui du charbon (55 €/tonne, soit 5,6 $/MBtu en équivalent thermique), qui est resté stable pour le moment.

Compte tenu du meilleur rendement des centrales à gaz, celles-ci redeviennent compétitives malgré un prix de CO2 bas (5,6 €/tonne).

Quelles causes ?

La chute du prix du gaz naturel en Europe reste à analyser en détail, mais la douceur de l'hiver passé ainsi que la baisse tendancielle de la demande ont dû avoir un impact important. La crise économique et les politiques de maîtrise de la demande d’énergie destinées à s’amplifier ont dû également jouer un rôle déflationniste sur le prix du gaz en Europe. Une anticipation du redémarrage des tranches nucléaires au Japon, lequel capte une bonne partie des cargaisons de GNL (gaz naturel liquéfié) pour compenser l’arrêt de ses centrales, va dans le même sens, ainsi que la volonté affichée par certains pays (en particulier la Pologne, le Royaume-Uni mais aussi l’Allemagne) de vouloir tirer profit de leurs ressources non conventionnelles.
Au passage, on notera les difficultés de Gazprom qui voit ses recettes diminuer (l’Europe est son principal acheteur de gaz) et dont la position est bien moins assurée que ne l’imaginent de nombreux observateurs européens.

Une autre cause pourrait être la substitution du gaz naturel par du charbon, les deux combustibles étant interchangeables quasi instantanément dans la production d’électricité en raison des surcapacités existantes en Europe aussi bien en centrales à gaz qu’à charbon. Le choc d'offre des gaz de schiste aux Etats-Unis s'est ainsi répercuté en Europe via le charbon.

Quelles conséquences ?

Dans un terme proche, la production d’électricité à base de gaz devrait reprendre (du fait de ces prix plus bas), stoppant l’hémorragie de fermetures de centrales à gaz, parfois très récentes, devenues non rentables. Parallèlement, le prix du CO2 devrait encore baisser (mais peu, car son prix est déjà proche de zéro !) comme la demande en charbon. Toutefois, les marges de compétitivité du charbon restent élevées car les réserves mondiales sont extrêmement
abondantes. Aux États-Unis, en raison de conditions géologiques favorables (couches très épaisses, mines à ciel ouvert), son coût marginal de production est assez bas, et les mines étant proches des ports, son évacuation est facile. Suite aux dernières décisions du Président Obama ayant pour but de prohiber son utilisation dans les centrales électriques – et donc indirectement favoriser l’utilisation de gaz (de schiste) –, il y a fort à parier que des quantités importantes de charbon américain se déverseront dans les années à venir sur notre continent, et ce, malgré un éventuel prix de CO2 plus élevé.

Une telle baisse a déjà eu lieu en 2009,  et nous rappelle que le prix des hydrocarbures est très volatil et n’est pas toujours prévisible. À court terme, elle constitue une très bonne nouvelle non seulement pour notre balance commerciale, mais également pour la compétitivité des gazo-intensifs. À moyen terme, si elle s’avère durable, cette baisse peut géopolitiquement fragiliser la position des grands pays fournisseurs, à commencer par la Russie. Il est plus difficile de prédire ses conséquences sur le système électrique européen et au final sur les émissions de CO2 en raison des interactions complexes entre les prix du gaz, du charbon, de l’électricité et des objectifs que l’Union voudra se fixer en matière d’efficacité énergétique, de taux de pénétration des EnR, de lutte contre le réchauffement
climatique. Il convient de garder cette baisse à l’esprit pour relativiser l’impact de mesures destinées à redresser le prix des quotas ETS, comme un resserrement des objectifs par la Commission européenne (« backloading ») ou l’établissement d’un prix plancher.

 

Auteurs

Etienne Beeker
Etienne
Beeker
Anciens auteurs de France Stratégie
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