Planifier pour « changer de monde » : une nécessité
« Une transition climatique, c’est un changement de monde, [et pour changer de monde] on a besoin que l’État nous guide. » Quand c’est du président du Medef que vient l’appel à la planification, on comprend que le consensus est large. Geoffroy Roux de Bézieux débute du reste son intervention en saluant la création du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE).
Tous les intervenants en conviennent : sans organisation collective, sans un leadership garant d’une feuille de route claire et d’impulsions coordonnées, il n’y aura pas de transition possible. Pourquoi ?
Parce que seule la planification peut donner « une valeur monétaire à l’eau, à l’air ou aux poissons, [ces] externalités de la nature jusqu’ici gratuites », note le président du Medef.
Parce qu’une politique environnementale sans justice sociale est vouée à l’échec, comme nous en alerte le Giec, et qu’en « matière de solidarité, c’est l’État
qui agit en dernier ressort », ajoute Cécile Duflot. Pour la directrice générale d’Oxfam France, c’est une évidence : « inventer une prospérité sans croissance », a minima des émissions de Co2, passe par la privation et la perte ». Or « il n’y a rien de plus difficile à admettre pour l’être humain que la privation (…) elle [devient même] insupportable si elle n’est pas juste ou que [certains] peuvent acheter la non-privation ». Découpler politique environnementale et justice sociale revient donc à rendre inefficace la première.
Parce que seul l’État peut « dérisquer » certains investissements rappelle Thierry Pech, directeur général de Terra Nova, qui cite pour exemple les énergies renouvelables. Subventionnées hier malgré les critiques, elles rapportent aujourd’hui « 20 milliards d’euros au budget de l’État ».
Et enfin parce que planifier c’est « s’organiser sur le long terme », indique Cécile Duflot. Or pour envisager par exemple la rénovation énergétique des 5 à 8 millions de passoires thermiques de France, il faut nécessairement penser à long terme.
Ce « nouveau monde » s’avère donc concevable et atteignable. Il est à portée d’intelligence humaine, c’est une certitude, mais pas sans « organisation collective », c'est-à-dire pas sans planification.
Coercition versus taxe : un savant dosage
S’organiser, oui, mais comment ? Si tous les intervenants s’accordent sur la nécessité d’arrêter d’empiler des lois et des plans, si tous souhaitent que soit mis fin « à la guérilla interministérielle du travail en silo », pour reprendre les termes de Thierry Pech, les avis divergent en revanche quant au policy mix : ce savant dosage entre utilisation du signal-prix et normes contraignantes.
Pour Geoffroy Roux de Bézieux, c’est du modèle suédois qu’il faudrait s’inspirer : une taxe carbone « avec une pente fixée » que les alternances politiques ne remettent pas en cause, autrement dit : « un signal prix fort de long terme ». Le patron du Medef en veut pour preuve le coût pour les entreprises de l’application des 320 articles de la loi climat et résilience. « On a chiffré le coût de la tonne carbone évitée des vingt premiers articles, on est déjà à 800 euros [contre 44,60 euros pour le prix de marché] » !
Hiatus : « le sujet n’est pas de payer plus cher le carbone mais d’en émettre moins » relève Cécile Duflot. Entendre : certains signaux de prix sont inopérants quand il s’agit de changer radicalement nos modes de vie. « Transporter une [seule] personne à 25 km/h dans un véhicule conçu pour rouler à 150 avec cinq personnes et leurs bagages, ça n’a pas de sens pour la collectivité ». Et visiblement la seule augmentation du prix du carburant ne ramène pas les individus au bon sens (écologique). Dans une situation de déni qui confine « au suicide collectif » pour reprendre les termes d’Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, « il faut des règles aussi sévères que celles, financières, qui régissent le droit des faillites [ou celles], prudentielles, imposées aux banques [au lendemain de la crise financière] », préconise la directrice générale d’Oxfam France.
Mais l’exemple est-il transposable à la diminution des émissions de CO2 ? Oui, affirme Cécile Duflot, parce que « l’espèce humaine excelle dans l’optimisation sous contrainte » et que « les entreprises sont des
corps vivants qui peuvent évoluer ». Imposer de nouvelles règles s’avère donc nécessaire mais aussi « libérateur ». Avant de produire du pétrole, Shell vendait des coquillages. Si demain, la norme qui s’impose de manière claire et pérenne devient « laisser l’énergie fossile dans le sol », Shell changera à nouveau de métier. De même que les trains pour aller à Toulouse depuis Paris deviendront « très confortables » si les avions ne sont plus autorisés sur ce trajet, prédit la directrice générale d'Oxfam France.
Par ailleurs, il s’agit moins d’opposer normes et prix que de doser leur mix. Le nombre de fumeurs diminue par exemple avec l’augmentation du prix du paquet et l’interdiction de fumer dans les lieux publics. « Il faut être pragmatique », conclut Antoine Pellion. Prenant pour illustration le cas de la conversion de la logistique urbaine aux utilitaires électriques, le secrétaire général à la Planification écologique souligne l’intérêt d’une « succession » de réponses politiques plutôt qu’une « réponse univoque », en l’espèce inciter via des aides à la conversion, puis imposer la règle d’usage puis sanctionner le cas échéant « une fois la norme largement adoptée ».
Ingénierie du changement : partir des territoires et écouter les citoyens
« Ce qui est compliqué dans la planification écologique, c’est l’ingénierie du changement » diagnostique Thierry Pech. Le temps de la production de normes
en chambre experte est révolu. Le directeur général de Terra Nova en appelle à « un nouveau design des politiques publiques » que Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public, définirait bien comme « une planification ascendante pensée depuis les territoires ».
Et des territoires, il sera beaucoup question durant ce débat, notamment de leur oubli là où ils sont pourtant « la maille pertinente ». Exemple avec la gestion de l’eau, donné par Antoine Pellion : le plan prévoyant la diminution des prélèvements d’eau défini à la maille des bassins n’a été effectivement
décliné à cette échelle que dans 5 % des cas. Dont acte, pour convertir à l’électrique la logistique urbaine, « nous n’avons [donc] pas besoin d’un énième plan » mais de rassembler les acteurs concernés à l’échelle de chaque métropole, « pour craquer tous les problèmes [associés à cette conversion] : bornes de recharge, maintenance, concessionnaires… », explique, toujours pragmatique, le secrétaire général à la Planification écologique.
Une autre raison de « donner les clés aux territoires » comme le propose Chantal Jouanno tient à leur expérience du débat citoyen. Et de cette participation aussi, il a beaucoup été débattu. Thierry Pech a notamment rappelé qu’une consultation sur la taxe carbone aurait pu éviter la crise sociale des Gilets jaunes. Chantal Jouanno le confirme : « le débat public révèle les points durs (…) il ne faut pas laisser toutes les clés aux experts mais les faire discuter avec les citoyens ». La présidente de la Commission nationale du débat public se souvient notamment de celui sur la programmation pluriannuelle de l’énergie. Il révélait « un énorme sentiment d’injustice sociale face à la transition énergétique [avec] un risque imminent de jacquerie fiscale ». C’était en juin 2018…
Le Secrétariat général à la Planification écologique (SGPE) sera-t-il le bras armé de cette nouvelle « ingénierie du changement » ? Son secrétaire général, Antoine Pellion, veut y croire. En confiant la planification écologique à la Première ministre, avec le SGPE « pour outil », l’objectif est précisément « de casser les politiques publiques en silo, d’accélérer, et d’avoir une approche systémique », affirme Antoine Pellion alors qu’il livre sa vision de la planification écologique en introduction au débat. C’est en clair « un sujet de méthode », résume-t-il : « [pour] organiser l’action, il faut passer de dizaines de plan exprimés en sigles à « des thématiques concrètes : se déplacer, se loger, se nourrir » avec pour chacune « des trajectoires clairement définies ».
Enfin un point met tout le monde d’accord : « l’appel à la mobilisation générale » selon les termes du secrétaire général. Parce que la transition écologique est « l’affaire de [toutes et] tous », toutes et tous doivent participer.