Ce rapport est la première édition d’un exercice nouveau en France : un débat, avec les parlementaires et de nombreux Français, sur la définition de la croissance. Comment la mesurer ? Peut-on s’accorder sur une définition commune ou bien s’agit-il d’une notion subjective
La consultation citoyenne conduite au printemps dernier par France Stratégie et le Conseil économique, social et environnemental a permis d’identifier des indicateurs plus diversifiés : l’emploi, l’investissement, l’endettement du pays, la santé, les inégalités, l’éducation, la protection de l’environnement, le bien-être ressenti. Les indicateurs sélectionnés sont cohérents avec la stratégie pilotée par la Commission européenne (dite « Europe 2020 ») en faveur d’une croissance « intelligente », « soutenable » et « inclusive ».
Ce rapport, rendu chaque année par le gouvernement, comme le prévoit la loi du 13 avril 2015 sur les « nouveaux indicateurs de richesse », garantira un suivi régulier. Chacun peut désormais s’en emparer. Le CESE pourrait, en particulier, rendre chaque année un avis complémentaire aux analyses qui s’y trouvent. La publication de ce rapport n’est donc pas un aboutissement, mais un point de départ.
Le 27 septembre 2015, le gouvernement a publié son premier rapport annuel « Les nouveaux indicateurs de richesse ». Son but est très clair : créer une mesure de la richesse adaptée au 21ème siècle en l’étendant au-delà du simple Produit intérieur brut (PIB).
En effet, le PIB a des origines lointaines. Il a été créé par le célèbre économiste américain Simon Kuznets en 1932 pour que le gouvernement états-unien puisse jauger l’effet de la Grande Dépression sur l’économie.
Il est évident qu’aujourd’hui les besoins en statistiques de nos sociétés contemporaines ont radicalement changé. C’est pourquoi France Stratégie et le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ont décidé fin 2014 de se pencher sur des nouveaux indicateurs pour mesurer la croissance et les richesses générées par l’économie française.
Vincent Aussilloux, directeur du département Economie-Finances à France Stratégie, revient sur le rapport du gouvernement et le travail mené en amont par France Stratégie et le CESE.
France Stratégie : Quel est le contexte du rapport Les nouveaux indicateurs de richesse et le rôle que France Stratégie a joué dans son élaboration ?
Vincent Aussilloux : Le rapport de Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi en 2009 sur la mesure des performances économiques et le progrès social a posé le cadre en concluant que le PIB était insuffisant pour mesurer les richesses de nos sociétés. Mais ce document n’a pas établi de liste d’indicateurs.
Dans notre rapport Quelle France dans dix ans ?, remis au président de la République l’an dernier, nous avons conclu qu’il fallait les définir de manière précise.
Le CESE avait lui aussi l’ambition de proposer des nouveaux indicateurs. Nous avons alors décidé fin 2014 de mener ensemble un travail de concertation pour dresser un tableau de bord avec un maximum de dix indicateurs. En janvier 2015 nous avons constitué des groupes de travail et avons mené une série de réunions avec des experts et des citoyens.
Parallèlement à ce processus, nous avons mis en place une consultation en ligne sur notre site Internet. Puis nous avons interrogé un panel représentatif de 1 000 personnes, qui nous a permis de trancher sur certains thèmes et certains indicateurs qui soulevaient des questions dans les groupes de travail .
Enfin, nous avons organisé des ateliers citoyens dans quatre villes en France afin d’obtenir l’avis de diverses catégories socio-professionnelles (chômeurs, étudiants, cadres, commerçants, agriculteurs…) sur nos choix d’indicateurs.
Tout ce travail a abouti à un tableau de bord d’indicateurs que nous avons publié en juin de cette année avec le CESE.
Entre temps la loi Sas a été votée au printemps 2015. Elle porte sur la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques.
L’initiative parlementaire et notre démarche commune avec le CESE étaient au départ indépendantes. Mais cette coïncidence heureuse de calendrier a permis que notre proposition serve de base au gouvernement pour établir son propre rapport sur Les nouveaux indicateurs de richesse, sorti le 27 octobre dernier.
FS : Le Premier ministre a écrit que ce rapport est un « point de départ ». Vers quoi ?
VA : La loi Sas oblige le gouvernement à faire deux choses : publier tous les ans un état des lieux sur les indicateurs de richesse et, chose importante, évaluer l’impact de ses politiques publiques les plus importantes au cours de l’année écoulée au niveau des différents indicateurs.
Bien entendu, il va falloir du temps pour mesurer l’impact de cette loi, vu que les indicateurs viennent tout juste d’être établis. Mais cela a dessiné la base de futurs travaux, notamment de recherche. Leur défi sera de développer des modèles théoriques qui feront le lien entre les indicateurs et les politiques. Un peu comme pour le PIB dans les décennies qui ont suivi sa création.
Un autre élément très important, c’est qu’à terme ces indicateurs puissent être utilisés par les communes et les régions pour évaluer l’impact de leurs politiques au niveau local. Les différents ministères pourront également les utiliser pour évaluer leurs actions.
FS : Où en est la réflexion européenne voire internationale sur les nouveaux indicateurs de richesse ?
VA : Plusieurs pays ont déjà mis en place de nouveaux indicateurs et tout ceci n’est pas totalement étranger à la remise en question qu’a constituée la crise économique et financière.
L’OCDE a développé son Indicateur du vivre mieux (Better Life Index) pour comparer la qualité de la vie dans ses 34 pays membres.
Tout cela se rapproche de ce qui se passe dans tous les pays développés : comment mieux se préparer à l’avenir, comment mieux anticiper les crises. L’OCDE mène une concertation qui s’appelle New Approaches to Economic Challenges qui vise, comme son titre l’indique, à s’interroger sur notre façon de préparer l’avenir.