Point de vue
Publié le
Jeudi 05 Février 2015
La décision de la Banque centrale européenne (BCE) de se lancer dans une politique d’assouplissement quantitatif (quantitative easing, QE) a suscité une vague de critiques en Europe du Nord et en particulier en Allemagne. La plupart de ces critiques sont dénuées de fondement, certaines sont confuses, et d’autres accordent plus de poids à des dangers hypothétiques qu’aux risques réels. Certaines abordent les véritables problèmes, sans pour autant indiquer de solution viable. Voici de quoi y voir plus clair.
- Une inflation nulle est une bonne chose. Faux. Si c’était vrai, les banques centrales du monde entier se seraient fixé cet objectif. Or elles ont toutes défini la stabilité des prix comme une inflation faible, stable mais positive. Une inflation nulle présente trois inconvénients majeurs : premièrement, elle érode l’efficacité d’une politique monétaire classique (les taux d’intérêt ne peuvent tomber en dessous de zéro au risque de voir les déposants retirer leurs liquidités des banques et les garder dans des coffres) ; ensuite cela rend plus rigides les salaires relatifs entre les secteurs (par exemple, ceux de l’industrie par rapport à ceux des services), car les contrats de travail définissent généralement les salaires en euros ; et enfin cela augmente la charge des dettes passées et rend plus difficile une sortie de crise des dettes souveraines ou privées.
- La faiblesse actuelle de l’inflation n’est pas préoccupante car elle est uniquement due à la chute des prix du pétrole. Faux. L’inflation des prix à la consommation de la zone euro est inférieure à l’objectif depuis 22 mois consécutifs – soit bien avant que les prix du pétrole ne commencent à baisser. Un pétrole bon marché est une aubaine pour la croissance, mais affecte également ce qui est la véritable cible des politiques monétaires : les anticipations d’inflation pour les années à venir.
- Une inflation inférieure à la cible est nécessaire pour restaurer la compétitivité. Confus. Il est vrai que le rééquilibrage de la compétitivité au sein de la zone euro n’est pas achevé. Certains pays ont besoin d’une inflation inférieure à la moyenne pour diminuer des coûts supérieurs à la moyenne ; mais cela ne vaut pas pour la zone euro dans son ensemble. La compétitivité de la zone dans son ensemble dépend de la qualité des produits et du taux de change de l’euro, qui est flexible. L’inflation n’a rien à voir là-dedans.
- Une politique monétaire active provoque au bout du compte une inflation importante. Non démontré. Les banques centrales se trompent parfois, et l’erreur de la BCE a été de laisser l’inflation atteindre des taux trop faibles, ce qu’elle tente maintenant de corriger. Le cas japonais montre combien il est difficile de s’extraire de la déflation. Le président de la BCE Mario Draghi échouera peut-être à atteindre l’objectif de 2%. Il peut aussi échouer en le dépassant. Personne ne peut le savoir à l’avance. Mais il serait curieux de renoncer à combattre le danger auquel nous faisons face au nom d’un risque bien plus hypothétique.
- L’assouplissement quantitatif est illégal. Faux. Le rôle premier de la BCE est d’atteindre la stabilité des prix. Lorsque les politiques conventionnelles de taux d’intérêt sont impuissantes, elle est dans son rôle en utilisant les autres instruments à sa disposition. Les achats d’obligations d’État sont autorisés par les traités.
- La BCE va provoquer la formation de bulles du prix des actifs. Probable, mais en partie remédiable. Un taux d’intérêt proche de zéro augmente le prix des actifs de deux manières : cela augmente la valeur présente des futurs flux de revenus des actions et des obligations ; et cela réduit le prix des emprunts immobiliers. L’inflation du prix des actifs est donc probable et les autorités de régulation devront la contenir par des outils réglementaires, comme par exemple des normes sur l’accès au crédit.
- L’assouplissement quantitatif va augmenter les inégalités. Probable, mais il va également créer des emplois. La hausse du prix des obligations, des actions et de l’immobilier augmentera la richesse des propriétaires. Ceux qui ne le sont pas n’en bénéficieront pas. Mais le QE va également relancer la croissance et créer des emplois. C’est le rôle des gouvernements de s’occuper de ses conséquences sur les inégalités, et pour ça ils possèdent un outil adéquat : la fiscalité.
- L’assouplissement est une manière pour la zone euro d’exporter ses problèmes : Trompeur. La Réserve fédérale américaine a été accusée du même péché lorsqu’elle a mené une politique monétaire et que cela a provoqué une baisse du dollar. Mais en fin de compte, le redressement économique des États-Unis a davantage bénéficié à ses partenaires qu’il ne les a pénalisés. La règle du jeu de l’interdépendance monétaire globale est que chaque pays ou entité doit assurer la stabilité de ses prix pour ce qui le concerne. La BCE ne s’en est pas écartée.
- Les politiques monétaires actives découragent les réformes structurelles. Dépassé. Dans le contexte actuel de stagnation prolongée, l’argument traditionnel selon lequel les réformes sont mises en œuvre quand il n’y a pas d’alternative (« TINA ») a singulièrement perdu de sa force. Un nouveau policy-mix devra savoir combiner soutiens macro et changements micro.
- L’assouplissement quantitatif revient à créer des euro-obligations. Faux. Une euro-obligation est un pacte entre émetteurs offrant une garantie mutuelle. La BCE est une agence indépendante et la décision d’acheter ou non des obligations reste sa prérogative. De plus, 80% des risques seront supportés par les banques centrales nationales.
- L’assouplissement quantitatif va ruiner la discipline budgétaire. C’est un risque, mais il peut être contenu. Les défenseurs comme les adversaires de l’austérité semblent aujourd’hui d’accord pour dire que c’en est fini de cette discipline. Il est vrai que le programme d’achat de la BCE va isoler les gouvernements de la pression des marchés, mais cette pression était déjà assez faible. Les gouvernements doivent remplir leur part du contrat et assurer que les mesures de la BCE ne leur feront pas oublier leurs engagements. C’est le rôle du pacte budgétaire européen.
- La politique monétaire de la BCE n’est pas adaptée à l’économie allemande. Vrai mais inévitable. La BCE est responsable de l’ensemble de la zone euro. Elle ne peut pas en permanence s’adapter parfaitement aux besoins de tous les pays. Pendant les dix premières années, sa politique n’était pas adaptée à l’Espagne; aujourd’hui, elle n’est pas adaptée à l’Allemagne. On ne doit pas reprocher à M. Draghi de faire son travail.
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