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Rapport
Publié le
Mardi 21 Mars 2017
L’intelligence artificielle (IA) est un sujet « chaud » : elle bénéficie d’une dynamique, d’un momentum, qui cristallisent les attentions et les énergies. Il faut donc agir maintenant pour en tirer parti.
Anticiper les impacts économiques et sociaux  de l’intelligence artificielle

Cette attention récente est fondée sur les progrès spectaculaires obtenus par la recherche en la matière. Il en résulte un accroissement brusque et imprévisible des tâches potentiellement automatisables qui amène à s’interroger sur les activités humaines. On passe d’un scénario de polarisation, dans lequel les emplois très manuels, d’une part, et les emplois basés sur les talents, d’autre part, semblaient préservés de l’automatisation, à un scénario de transformation qui touche potentiellement beaucoup plus de monde. C’est pourquoi la thématique de la disparition d’un grand nombre d’emplois tend à monopoliser le débat et à occulter
tout raisonnement.

Le but de ce rapport est de sortir d’une vision simpliste (compréhension « magique » de l’IA, focalisation sur la disparition massive d’emplois, idée que l’IA nous tombe dessus quoi que l’on fasse induisant une passivité devant le choc annoncé). Une telle analyse a jusqu’à présent empêché de mettre en avant les perspectives positives réelles (gains de productivité dans les entreprises, amélioration de la qualité des services) comme les alertes essentielles : risque de perte d’indépendance économique, absence de gouvernance des transformations, sous-estimation des impacts sur la vie quotidienne, en particulier dans le monde du travail, et nécessaire inventivité dans les accompagnements, en particulier par l’appareil de formation.

Ce document a une triple ambition.

  1. Clarifier l’acception de l’intelligence artificielle et son intégration dans la production. Il s’agit principalement d’apprentissage machine – la capacité d’un logiciel informatique à reproduire avec une très bonne qualité certaines aptitudes humaines dès lors que des données d’entraînement en quantité suffisante sont disponibles. Ces dispositifs sont utilisés pour la reconnaissance de la voix, le classement d’images, de sons, de vidéos, le traitement de texte, par exemple la traduction automatique.
  2. Attirer l’attention sur l’essentiel : les données. La valeur n’est pas là où l’on croit : elle provient des données nécessaires à l’apprentissage bien plus que de l’algorithme, dont les développements se font de manière ouverte (en open source). En conséquence, les entreprises ou les administrations (pour la production de services publics) doivent se concentrer sur l’identification des données susceptibles d’être utilisées et sur les modalités concrètes d’exploitation (mise à disposition des données, éventuellement mutualisation, en conservant le contrôle des exploitations qui en sont faites ou en bénéficiant d’un juste retour), Par ailleurs les réflexions sur la libre circulation des données, entre espaces géographiques mais également entre acteurs économiques, doivent être approfondies.
  3. Souligner qu’il s’agira de transformations du travail beaucoup plus que de suppressions d’emplois : l’aménagement de ces transformations va demander une construction de la décision aussi anticipatrice que possible, incluant les acteurs pertinents, au premier chef les professionnels concernés. Le but à atteindre est de créer de la valeur dans le travail pour tous, de donner plus de pouvoir et d’intelligence grâce à l’IA et non de mécaniser les humains. Les politiques publiques, nationales et régionales, doivent être mobilisées pour construire une vision positive de l’IA, qui nécessite des plateformes plurielles d’évaluation et de co-conception des transformations.

Pour y arriver, un outil essentiel demeure : la formation, qui ne doit pas être perçue comme un recyclage et un pis-aller. L’IA est un chantier de formation professionnelle essentiel qui peut servir de cas d’école pour les nouvelles visions de l’éducation et de la formation qui sont depuis plusieurs années débattues dans la société : importance des compétences transversales (soft skills), littératie numérique, à laquelle il faut adjoindre une littératie de l’IA. Une telle formation passe par une éducation informatique générale et une mobilisation de la société sur les formations initiales (entreprises, secteur de l’éducation populaire) mais aussi une inventivité dans les formations sur poste, les formations en conception, ce qui implique une forte mobilisation des entreprises elles-mêmes, de la recherche et des partenaires sociaux pour ouvrir de nouvelles voies.

Si l’on ne fait rien, que se passera-t-il ?

  • au plan économique et diplomatique, il existe un risque de décrochage économique et de perte d’indépendance, si le phénomène de concentration de l’activité numérique autour de quelques grandes plateformes se prolonge ;
  • au plan social : l’absence d’anticipation, la pauvreté des solutions d’accompagnement, des approches en silo et un pilotage assis sur la seule réduction des coûts auraient les effets dramatiques de destruction d’emploi que nous annoncent les cassandres.

Il faut sortir des scénarios qui tétanisent toute prospective réaliste et plurielle, en écartant les scénarios irréalistes décrivant l’automatisation de toutes les fonctions productives. À cet égard, le rapport ne se positionne pas sur la question du revenu universel, mais se concentre sur celle de la transformation des emplois, en vue d’une reconstruction de la valeur sociale des activités humaines.

Quel peut être le chemin ? Il est crucial d’organiser dès à présent un dispositif de concertation permettant d’anticiper ces impacts. Une grande plateforme numérique, alimentée par des débats dans les territoires, pourrait être envisagée avec tous les acteurs de l’emploi : Pôle emploi, l’AFPA, les acteurs régionaux, nationaux,
européens, les syndicats. Elle pourrait ensuite être déclinée à différentes échelles : par branche, dans des réseaux thématiques pertinents, au niveau régional.

Pour ce qui concerne une politique inventive de formation – mobilisation de la formation initiale, des entreprises, de l’économie sociale et solidaire –, c’est un objectif qui suppose d’examiner les secteurs d’application de l’IA, en particulier d’affiner les modèles économiques pour les secteurs non industriels, comme
l’éducation, la santé ou les politiques de la ville (smart city, en relation avec des politiques écologiques).

Le CNNum et France Stratégie soutiennent le besoin d’une telle concertation : il est dans leurs attributions respectives d’aider les politiques publiques à anticiper les impacts des transformations numériques et à en analyser les aspects combinés, économiques, juridiques et sociaux. Ce rapport vise à prendre date. Le calendrier restreint dans lequel se sont inscrits ces travaux ne permet, à l’heure actuelle, que de donner quelques éclairages.

Au-delà de cette sensibilisation, le CNNum entreprend de développer ses analyses sur la transition des emplois et d’approfondir ses propositions. Pour le CNNum, le chemin qui s’ouvre doit avoir pour but de préserver et d’augmenter la valeur du travail humain, et de concilier de façon innovante une économie compétitive et une amélioration du bien-être dans une société inclusive.

France Stratégie, pour sa part, entend continuer ses travaux d’animation du débat public sur l’IA, thème central de la révolution numérique, en donnant la priorité à l’emploi et à la dimension territoriale. En méthode, ces travaux seront menés en nouant toutes les collaborations utiles avec les administrations, les collectivités
territoriales, les partenaires sociaux et les acteurs de la société civile.

Les recommandations

Organiser une concertation pour anticiper les impacts économiques et sociaux de l’IA

La réflexion sur les impacts économiques et sociaux de l’IA ne peut se faire de manière descendante au regard de l’ampleur des transformations qu’elle est susceptible d’engager. Il s’agit de penser, à tous les niveaux, la gouvernance permettant d’organiser un dialogue et des prises de décision à même de transformer nos sociétés et nos économies pour anticiper les impacts de l’IA. Une grande plateforme (numérique et sous forme de concertation nationale) avec tous les acteurs de l’emploi, Pôle emploi, AFPA, acteurs régionaux, nationaux, européens, syndicats serait mise en place à cet effet. La mise en place de cette plateforme pourrait servir à répondre aux objectifs des recommandations 3 (penser la complémentarité humain-machine), 4 (sensibiliser à la valeur des données) et 5 (intégrer l’IA dans les entreprises).

Transformer la formation tout au long de la vie

Viser une transformation d’envergure de la formation tout au long de la vie, en termes de ratio temps de travail/temps de formation, de contenus et de modes de formation ainsi que de structures porteuses.

Penser la complémentarité humain-machine

Mesurer la substituabilité des tâches au regard d’un faisceau de critères, techniques et sociaux, et prenant en compte un contexte économique allant au-delà de la seule organisation de l’entreprise ou du secteur d’activité :

– la technologie est-elle suffisamment avancée pour que cette tâche soit automatisée ?
– la tâche nécessite-t-elle des capacités cognitives verticales (orientées sur une tâche très spécifique) ou horizontales ?
– l’automatisation de cette tâche est-elle acceptable socialement ?
– cette tâche nécessite-t-elle le recours à une intelligence émotionnelle ?
– cette tâche nécessite-t-elle une intervention manuelle complexe ?

Sensibiliser à la valeur des données pour entraîner l’IA

Sensibiliser les organisations à la valeur des données en tant que ressources essentielles à l’entraînement des algorithmes d’intelligence artificielle.

Intégrer l’IA dans les entreprises

Inciter les entreprises, grandes ou petites, à développer et intégrer des briques d’intelligence artificielle, notamment en fédérant les acteurs des différents écosystèmes autour d’un réseau thématique ; celui-ci mettrait à disposition, de façon contrôlée, les données nécessaires et faciliterait l’accès à l’expérimentation (comme pour le véhicule autonome).

Donner accès aux données publiques

Poursuivre et accentuer l’effort en matière d’accès aux données publiques et parapubliques.

Faire circuler les données

Approfondir la question de la libre circulation des données, entre espaces géographiques mais également entre acteurs économiques et en définir les conditions.


Rapporteurs

Charly Berthet (CNNum), Julia Charrié (France Stratégie), Anne-Charlotte Cornut (CNNum), Francois Levin (CNNum)

Auteurs

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Libre
Lionel
Janin
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