Longtemps, la croissance nous a servi de ciment national. Tout divisait la CGT et le CNPF (l'ancêtre du Medef), sauf elle. Comme le disait John Kennedy, elle avait l'effet de "la marée montante [qui] soulève tous les bateaux" – les petits et les gros.
Ce consensus est aujourd'hui brisé. Un trentenaire qui travaille depuis 2007 n'a pas connu la croissance. Pour lui, la promesse de lendemains meilleurs sonne creux. Dans les années 2000, des pays lancés comme l'Espagne dans une croissance effrénée et financée à crédit se sont ensuite effondrés. Ses effets collatéraux sur l'environnement conduisent certains à la rejeter. Atteintes au climat, chute de la biodiversité, pollutions locales : tant de maux, disent-ils, pour améliorer quelque peu notre bien-être matériel?
La croissance, aussi, n'est plus la même que celle des Trente Glorieuses. Aujourd'hui, elle divise, faisant des gagnants – les innovateurs et ceux qui disposent d'un solide capital de connaissance – et des perdants – ceux dont les compétences sont dévalorisées. La crainte est désormais bien ancrée d'une économie où les vainqueurs raflent la mise, comme aux États-Unis où 60 % de l'accroissement du PIB profite aux 10 % les mieux lotis de la population.