Le plan « Brésil sans misère » apparaît en fait comme un prolongement et une extension de la Bourse Famille. Lancée en 2003 par le Président Lula comme pilier central de son programme Faim Zéro (Fome Zero), cette bourse bénéficie aujourd’hui à plus de 15 millions de familles. Elle est elle-même issue de la fusion de plusieurs programmes d’aide alimentaire et de la Bourse École (Bolsa Escola), instaurée dans les années 1990 pour accroître la fréquentation scolaire des enfants défavorisés.
Dans le cadre de ses travaux portant sur l’utilisation des données entre administrations afin d’améliorer et de faciliter les services aux citoyens, le Département société, institutions et politiques sociales (DSIPS) de France Stratégie s’est intéressé au système statistique chargé d’accompagner la mise en œuvre de ces programmes sociaux. Lors d’une rencontre à Paris le 20 novembre 2014[1], Marconi Fernandes De Sousa, le directeur du Département du pilotage au ministère brésilien du Développement social et de lutte contre la faim, a bien voulu donner quelques éclaircissements sur ce point.
Le Brésil attache en effet une attention particulière au système d’information et de suivi de ses politiques sociales. Dès la création de la Bourse Famille, le Registre unique ou Cadastro Unico a été ainsi conçu comme un outil indispensable à la montée en charge de cette prestation et à l’accès aux droits du plus grand nombre. Ce registre collecte des informations sur l’ensemble des bénéficiaires des programmes d’aide. En dépit du caractère fédéral et donc décentralisé du pays, tous les niveaux de gouvernement – État fédéral, États fédérés, municipalités – participent à ce système d'information intégré de gestion et de pilotage des programmes de lutte contre la pauvreté.
Un site internet dédié (www.mds.gov.br/sagi) donne libre accès à une quantité importante d’informations. La base de données MI-BSM gère 1 700 variables mises à jour périodiquement, en provenance de 40 sources différentes. Sont ainsi renseignés les données administratives des bénéficiaires, le montant des prestations sociales mais aussi le niveau de couverture des équipements par territoire, les caractéristiques de logement des familles, l’âge des membres du foyer ou encore leur niveau d’étude ou de qualification. Ces informations peuvent être consultées par tout citoyen. Par ailleurs, deux cohortes ont été constituées pour faciliter les travaux de recherche sur la pauvreté.
Cette base de données MI-BSM a pour premiers utilisateurs les responsables des ministères fédéraux mais aussi les responsables des États et les responsables municipaux qui, dans l’architecture décentralisée des programmes sociaux, sont comptables de la réalisation des objectifs à leur niveau. Elle permet un suivi automatique d’un certain nombre d’indicateurs renseignant sur la mise en œuvre territorialisée des programmes (le « panneau de suivi » du plan Brésil sans Misère). L’extraction des bases existantes fournit des bulletins municipaux, ville par ville, qui sont produits à partir d’Excel, avec un contenu textuel automatisé. Chaque municipalité se voit ainsi périodiquement informée de façon très précise sur l’état de la montée en charge du programme Brésil sans Misère sur son territoire.
L’outil MI-BSM fonctionne à partir de données non anonymisées, ce qui à la fois permet leur appariement très fin et en fait un outil formidable d’accès aux droits. Il permet aux gestionnaires locaux de proposer des formations qualifiantes, d’organiser l’accès au microcrédit, l’accès à l’eau dans les régions rurales ou encore à des tarifs sociaux pour l’énergie pour les plus démunis. À la différence de la France, les inquiétudes sur la protection des données personnelles, liées à l’interconnexion des fichiers administratifs, sont peu présentes au Brésil. Au contraire, un tel fichier est approuvé par la population, qui y voit un moyen de lutter contre la fraude. Pour un nombre non négligeable de municipalités, en effet, les bénéficiaires sont supérieurs au nombre théorique estimé.
Cette expérience à très grande échelle du pilotage des politiques sociales par la donnée peut nourrir utilement la réflexion en France, qui souffre en la matière d’un fort éclatement des acteurs. Elle montre aussi tout l’intérêt de penser un dispositif de pilotage au moment même de la définition de la politique.
[1] La rencontre était co-organisée par France Stratégie (Marine Boisson-Cohen, DPAI) et la Délégation aux affaires européennes et internationales des ministères sociaux (Guillaume Delautre, DAEI). Etaient présents : Marine Boisson-Cohen, Catherine Collombet, Camille Guézennec et David Marguerit pour France Stratégie ; Guillaume Delautre pour la DAEI.