Les droits de propriété intellectuelle (PI) jouent un rôle clé dans la capacité à innover et dans les enjeux de compétitivité. Ils commandent l’accès à l’essentiel du savoir qui fonde l’économie de l’immatériel. Afin de préciser le diagnostic à ce sujet et d’en tirer des enseignements pour les politiques publiques, le CGSP vient de publier une note d’analyse sur la manière dont les entreprises françaises gèrent et utilisent leur PI. Ce travail se fonde principalement sur une étude commandée au cabinet Winnove, à l’issue d’un appel d’offre.
En termes globaux tout d’abord, il en ressort qu’au vu d’indicateurs tels que les dépôts de brevets, la place de la France en la matière reflète grosso modo celle qu’elle occupe pour la recherche et l’innovation. Pour autant, il existe d’importants besoins d’amélioration sur ces questions. Car si, pour notre pays, les grands groupes se classent favorablement dans ce type de palmarès international, ce n’est en général pas le cas pour les entreprises de moindre taille, qui sont beaucoup plus en retrait. Au-delà, il faut s’interroger non seulement sur la création de nouveaux droits de PI mais aussi et surtout sur la manière dont les entreprises les utilisent.
Or la propriété industrielle reste considérée par la plupart des entreprises comme un poste de coûts. Son rôle d’actif porteur de valeur demeure insuffisamment reconnu. Par suite, la dimension stratégique de la PI mérite d’être plus largement intégrée par les entreprises. Encore faut-il qu’elles puissent s’appuyer sur des personnels suffisamment qualifiés dans ce domaine, ce qui requiert des compétences spécifiques en termes non seulement juridiques et techniques, mais aussi managériaux. Il importe donc de combler les lacunes persistantes sur le plan de la formation aux diverses questions de PI, et pas seulement concernant les PME. A cette fin, le CGSP préconise d’introduire des modules pédagogiques consacrés à la PI dans tous les cursus d’enseignement supérieur les plus concernés, surtout pour les études d’ingénieur, de commerce ou de droit. Pour l’instant, seule une petite minorité d’écoles d’ingénieur l’ont déjà fait.
Dans les faits, les entreprises soucieuses de protéger et de valoriser leurs actifs intellectuels recourent à une palette variable d’instruments et de stratégies, notamment selon leur taille et leur secteur d’activité : brevets d’invention, marques commerciales, dessins et modèles, droit d’auteur, etc. Certains de ces outils sont informels, tel le secret des affaires, qui est le droit de PI le plus utilisé par les PME. Dans l’ensemble, cela dit, les brevets concentrent indéniablement le plus d’enjeux économiques.
En pratique, les entreprises continuent d’utiliser leurs brevets principalement dans une optique défensive, pour préserver leur liberté d’exploitation. Mais elles s’en servent aussi de plus en plus et de manière complémentaire à d’autres fins : pour innover en partenariat (stratégie de coopération), pour préempter certains marchés (stratégie de mouvement) ou pour percevoir des redevances (stratégie de licence).
En ce qui concerne plus particulièrement la stratégie de coopération, l’analyse s’intéresse en particulier aux moyens d’améliorer les relations entre les entreprises et la recherche publique. Elle souligne que sur ce plan, il faut surtout éviter de faire de la PI une source de tensions ou de contentieux, dans le cadre de ce type de partenariat. Les laboratoires publics doivent principalement voir dans la propriété intellectuelle le moyen de conserver leur liberté d’action et de sécuriser leurs partenariats industriels, plutôt qu’une source de revenus financiers. Certes, il faut veiller à ce que les deniers publics investis dans la recherche publique débouchent sur des retombées utiles pour l’économie et la société du pays considéré. Il serait cependant contreproductif que cette valorisation soit soumise à une logique aveugle de retour sur investissement, car cette dernière serait préjudiciable tant à la recherche publique qu’au tissu d’entreprises.
L’analyse montre en outre combien le développement récent d’entités fondées sur une pure stratégie de licence se révèle problématique. Un tel modèle d’affaires rompt en effet avec le rôle traditionnel de la PI comme outil de protection et en fait parfois un pur levier de valorisation financière, sans attache territoriale et sans égard aux risques induits sur l’économie « réelle ». La note en tire une conclusion à propos de France Brevets, le fonds public d’investissement et de valorisation de brevets qui a été créé en 2011 : ce fonds souverain de brevets devrait se soucier moins de la quête du pur rendement financier que des impacts économiques à long terme sur l’appareil productif. Enfin, le document du CGSP permet aussi de préciser d’autres attentes des entreprises à l’égard des pouvoirs publics, sur des sujets tels que la mise en place imminente du brevet unitaire européen ou encore la manière de prévenir et traiter les litiges.