750 000 lycéens s’apprêtent à passer le bac. Et après ? Selon une étude de la Sofres parue en janvier 2016, l’orientation est un casse-tête pour 79% des 16-25 ans. Un « enjeu qui concerne tous les jeunes jusqu’à leur entrée sur le marché du travail », précise l’institut de sondage. Qu’ils se destinent à des études courtes ou longues, les jeunes se posent tous la même question : quels sont les métiers qui recrutent et quelles compétences faut-il détenir pour décrocher le poste ? Une question que nous avons posée à Sandrine Aboubadra-Pauly et Jean Flamand, experts au département Travail, emploi, compétences à France Stratégie.
À l’heure des choix d’orientation, beaucoup de jeunes – et leurs parents – se demandent si la formation qu’ils vont choisir aura un débouché. Les experts que vous êtes ont-ils une réponse « sérieuse » à leur apporter ?
Jean Flamand : Oui, mais attention, il ne s’agit pas de prévisions mais de prospective. Dans le cadre du précédent exercice de Prospective des métiers et qualifications à horizon 2022, ce que nous avons fait c’est dégager des grandes tendances dans les évolutions des métiers à 10 ou 15 ans. Nous avons notamment mis en évidence deux facteurs ayant un impact important sur les perspectives de recrutement. D’abord le vieillissement de la population qui entraîne un fort besoin de main -d’œuvre dans les métiers du soin et de l’aide à la personne : infirmiers, aides-soignants, professions paramédicales… ensuite, la poursuite de la tertiarisation de l’économie qui appelle davantage de métiers à fortes compétences techniques : personnels d’études et de recherche, architectes et cadres du bâtiment, métiers de la banque… Au-delà, tous les métiers de service aux particuliers recrutent : l’hôtellerie et la restauration, le commerce, la coiffure et l’esthétique.
Pour ce qui concerne plus spécifiquement les jeunes qui entrent sur le marché du travail à cet horizon [2022], la situation est plus favorable pour les étudiants du supérieur long, c’est-à-dire bac+3 minimum. Elle est plus ambivalente pour les jeunes qui sortent du système scolaire avec un niveau de qualification inférieur au bac. Quant aux jeunes techniciens de niveau intermédiaire, ceux qui sortent avec un BTS ou un DUT, là il n’y a pas de problème d’insertion et même plutôt une situation de pénurie.
Le diplôme reste-t-il le sésame pour décrocher le poste de ses rêves ou est-ce qu’une « erreur » d’orientation peut se rattraper ?
Sandrine Aboubadra-Pauly : Le diplôme reste un signal très important sur le marché du travail en France. Les employeurs y sont très attachés. Mais à diplôme de niveau égal, ils sont aussi de plus en plus sensibles et réceptifs aux compétences, notamment aux compétences dites transversales. De nombreuses études montrent que les employeurs attendent de leurs futurs employés qu’ils aient des compétences transversales de base : maîtrise de l’informatique et du numérique, expression orale et écrite correcte, ainsi que des compétences plus complexes à évaluer : la capacité à travailler en groupe ou en équipe, savoir utiliser les « codes sociaux », se conformer aux règles de l’entreprise, faire preuve de créativité, gérer et résoudre des incidents et savoir s’adapter à des aléas, des situations d’urgence, etc…
Ces compétences transversales sont importantes non seulement pour répondre aux attendus d’un poste, mais aussi parce qu’elles sont de vrais outils pour construire son parcours professionnel tout au long de la vie. Les individus sont – par choix ou par contrainte – de plus en plus mobiles. Ils sont amenés à changer de travail ou de métier régulièrement. Le fait de détenir et de pouvoir valoriser ces compétences transversales, communes à de très nombreux métiers et très demandées par les employeurs, constitue donc un atout, pour aller vers des mobilités « choisies » et sécuriser son parcours professionnel.
Après, je ne vous ai parlé que des compétences les plus partagées, mais elles sont en réalité bien plus nombreuses, diverses et évolutives. Tout le monde n’est pas d’accord sur la définition de ces compétences et l’enjeu c’est précisément, au regard de leur importance croissante en tant que critère de recrutement, d’arriver à mieux les définir de façon collective pour qu’employeurs et candidats parlent le même langage. Le Réseau Emplois-Compétences pourrait aller plus loin sur ce sujet. Je vous donne un exemple simple. Quand un employeur veut quelqu’un de « polyvalent », le candidat peut entendre « tâches diversifiées, portefeuille d’activités multiples, etc. », alors que l’employeur entendra peut-être « quelqu’un qui s’adapte à des conditions de travail potentiellement difficiles et/ou changeantes » comme les postes en horaires décalés. On voit donc bien qu’un même terme peut recouvrir des représentations différentes, ce qui complique le recrutement.
On entend souvent justement parler de « difficultés de recrutement », voire de pénurie de candidats. Est-ce que le défaut de « langage commun » que vous évoquez peut les expliquer ? Ou y-a-t-il plus largement une inadéquation des compétences, des jeunes en particulier, aux besoins des entreprises ?
Sandrine Aboubadra-Pauly : Le manque de formation ou de compétences est une explication très partielle des situations de pénurie. C’est le cas dans le secteur du numérique, par exemple, parce que les besoins des entreprises sont très importants et que l’offre de formation ne s’est pas développée assez vite. Mais globalement il faut être conscient que la spécificité de formation reste peu déterminante : en France, moins de 50% des personnes ont un diplôme dont la spécialité correspond au métier qu’elles exercent.
En revanche, certains secteurs ou métiers connaissent des difficultés de recrutement parce que tout simplement les postes proposés ne sont pas du tout attractifs, en raison des conditions de travail notamment. La faible mixité des métiers est aussi un frein important. Si un métier est genré, par définition seule la moitié de la population va postuler, ce qui peut en soi créer de la pénurie. Les assistants maternels par exemple sont à 99% des femmes. À l’inverse, les hommes représentent 95% de tous les métiers du bâtiment. Le secteur de l’informatique est très masculin aussi. Il faudrait encourager les femmes et les hommes à aller vers ces métiers peu mixtes. Il y a aussi, pour finir, une question de mobilité géographique. En France, plus on est âgé moins on est mobile géographiquement. On a tendance à préférer changer de métier plutôt que de lieu de vie.
Une idée des métiers qui recruteront et des compétences qu’il faudra détenir à un horizon plus lointain, disons pour les collégiens d’aujourd’hui ?
Jean Flamand : Une idée, oui, mais pas encore arrêtée. Le nouvel exercice de Prospective des métiers et qualifications – Les métiers en 2030 – n’est lancé que depuis janvier 2018. Ce qu’on peut dire déjà, c’est que nous sommes en train de sortir de dix ans de crise avec une dynamique de création d’emplois qui repart sur des niveaux de l’ordre de 280 000 emplois par an. On peut également parier sur un maintien des tendances démographiques actuelles au moins jusqu’à 2030 : à savoir que 8 postes sur 10 actuellement à pourvoir le sont du fait d’un départ en retraite.
Au-delà, l’exercice de prospective va évidemment se pencher sur le numérique et l’intelligence artificielle. Pas seulement sur « les métiers cœur du numérique », ces métiers qui n’existent pas aujourd’hui et qui vont émerger dans les 10 ou 15 prochaines années, mais aussi sur la manière dont le numérique va impacter les métiers existants. On écrit beaucoup sur le bilan net de la digitalisation de l’économie, c’est-à-dire le nombre de créations moins le nombre de destructions d’emplois, mais pour anticiper la nature des compétences dont les entreprises et les organisations auront besoin demain, il faut aussi se pencher sur la manière dont le contenu des métiers et des tâches sera impacté par le numérique.
Et puis il y a la transition écologique. C’était déjà un facteur important dans le précédent exercice de prospective. Pour Les métiers en 2030, il devient décisif, d’autant qu’il y a encore peu d’emplois verts en volume. Comme pour le numérique, on prévoit non seulement un développement des métiers directement liés à l’environnement – l’économie circulaire notamment – mais aussi la possibilité que l’environnement « s’infuse » dans de nombreux secteurs : valorisation des déchets, bâtiment, automobile, nettoyage… Le numérique représente par ailleurs un gouffre énergétique, ce qui veut dire qu’il faudra articuler transition numérique et transition écologique. L’horizon pour les collégiens d’aujourd’hui c’est donc peut-être celui-là : inventer le monde qui pensera ces deux transitions ensemble.
Propos recueillis par Céline Mareuge, journaliste web