Imaginons un instant le conseil municipal de Détroit, réuni en 2000 pour imaginer le futur de la ville 12 ans plus tard, en 2013. Si l’on en juge au résultat constaté aujourd'hui, on peut imaginer qu’il se serait agi d’un exercice convenu, affichant d’une part des ambitions (plus d’emplois, moins de misère, plus de richesses et de compétitivité, mais aussi plus de culture, Detroit abritant un musée richement doté), et comptant d’autre part sur les perspectives offertes par la croissance pour financer ces ambitions.
Les discours et rapports accompagnant cet exercice (imaginaire) de prospective inverse n’auraient sans doute pas changé le point d’arrivée de « Detroit 2013 » : une mise en faillite de la ville, qui, loin du particularisme américain souligné par certaines, représente un symbole riche d’enseignements. En effet, peu l’ont noté, mais l’essentiel de la dette de la ville est constitué d’engagements de retraite (santé et couverture maladie) : plus de 9 milliards sur les 18 milliards de dollars de dette de Détroit. Car aux Etats-Unis les passifs sociaux ne se trouvent pas au niveau de l’Etat central, mais ils se situent au niveau des employeurs. Les problèmes de pérennité du système de retraite y sont donc moins visibles qu’en France - concentrés au niveau national - mais pas si différents des nôtres !
Pour en arriver là, Detroit a d'abord connu une période de croissance économique considérable, qui a rendu possible le développement d’un modèle social conséquent (en termes de salaire ou de couverture sociale), le sentiment de jouir du statut de “super puissance” industrielle. Mais au tournant des années 70, la ville a commencé à connaître des difficultés à adapter sa compétitivité hors coûts (les grosses voitures américaines ont souffert du choc pétrolier) comme sa compétitivité coûts (aux conventions collectives de Détroit, les concurrents préférant d'autres sites aux Etats-Unis, moins coûteux). Avec, dans le même temps, une difficulté à développer de nouvelles activités dans les secteurs d’avenir tant était fort le lien entre le pouvoir politique et le pouvoir économique des secteurs “historiques” - notamment l’automobile. Enfin, Detroit a souffert d’une incapacité à rompre le cercle vicieux des dépenses et du chômage. Des dépenses collectives pesant sur l’accès à l’emploi de ceux qui n’en ont pas mais défendues par les « insiders », qui en bénéficient encore (salariés ou retraités), entraînant une réduction de l’activité, qui accentue encore l’accès à l’emploi, et la crispation des « insiders ». L'ensemble conduisant à une situation où la seule issue est la faillite des “payeurs en dernier ressort” du modèle social - la ville de Détroit et, quelques années avant, les constructeurs automobile.
L'Observatoire du Long Terme (http://longterme.org) est une organisation indépendante dédiée à l'étude des enjeux de long terme.