Back to
Publications
Document de travail
Publié le
Jeudi 02 Février 2017
La Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (CNEPI), après avoir établi un panorama de l’évolution d’ensemble des dispositifs en faveur de l’innovation[1], a engagé des travaux sur certains d’entre eux.
Avis de la CNEPI sur la politique des pôles de compétitivité

Le présent avis dresse le bilan de dix années de mise en œuvre de la politique des pôles de compétitivité. Il s’appuie sur l’examen des travaux disponibles, sur une série de réflexions et d’échanges, et en particulier sur une recherche conduite, à la demande de la CNEPI, par deux experts de France Stratégie et dont les résultats sont publiés parallèlement au présent avis[2]. Sur cette base, la Commission souligne les principaux points suivants.

Cette politique vise à renforcer la compétitivité de l’industrie française par le développement d’écosystèmes d’innovation qui stimulent les liens de coopération entre entreprises, laboratoires publics de recherche et établissements d'enseignement et de formation, au sein d’espaces géographiques donnés et sur des thématiques spécifiques à chacun des pôles. Misant principalement sur l’instrument des projets collaboratifs de recherche et développement (R & D), elle s’inscrit dans la logique d’une économie d’interactions dans laquelle les synergies entre acteurs présents sur un même territoire sont sources de productivité et d’innovation. Pour autant, cette politique constitue un outil hybride qui combine deux logiques différentes : une logique descendante qui vise à organiser la diffusion des innovations et une logique ascendante qui vise à susciter un foisonnement de projets innovants.

Les travaux examinés par la CNEPI montrent que ces objectifs ont été atteints de manière inégale selon le critère considéré.

D’une part, l’étude de France Stratégie montre que l’impact sur la R & D des entreprises est positif, avec un effet de levier substantiel. En effet, par rapport aux entreprises qui disposent de caractéristiques semblables et qui n’ont pas adhéré aux pôles, celles qui l’ont fait accroissent nettement l’autofinancement de leurs activités de R & D, c’est-à-dire au-delà des aides publiques (directes et indirectes) perçues. Ainsi, pour un euro additionnel de financement public, ce sont en moyenne près de trois euros – dont environ deux euros sur ses propres deniers – qu’une entreprise membre d’un pôle a engagés en dépenses de R & D, en 2012. Cet effet de levier du financement public est un résultat important qui n’avait jusqu’ici jamais été identifié par les études sur les cas français, et qui n’avait que rarement été mis en évidence à l’étranger.

D’autre part, et compte tenu des données disponibles qui ne vont pas encore au-delà de 2012, soit trois ans après la fin des premiers projets de R & D financés, aucun effet significatif n’est décelé sur les performances situées en aval de la R & D (nombre de brevets déposés, chiffre d’affaires, exportations, emploi, productivité du travail, etc.).

La situation demeure donc contrastée : globalement, jusqu’en 2012, l’effet d’entraînement obtenu sur l’investissement en R & D des entreprises semble ne pas avoir donné lieu à un accroissement du produit de la recherche, ou à de meilleures performances de marché pour les entreprises concernées. Cette difficulté à identifier des effets sur les performances des entreprises se retrouve dans l’évaluation de dispositifs comparables à l’étranger. Elle peut s’expliquer de différentes manières. Tout d’abord, le recul temporel pourrait être encore insuffisant, compte tenu de la durée nécessaire à la maturation de certains projets. Pour identifier ces effets en aval, les méthodes économétriques utilisées dans les principales études butent sur certaines limites. Et plus généralement, il est possible d’invoquer une possible baisse générale de la productivité de l’activité de R & D.

Enfin, ces résultats doivent être appréciés au regard de deux changements intervenus durant la dernière décennie. Premièrement, les moyens budgétaires alloués par l’État spécifiquement à cette politique ont été divisés par deux depuis sa période de lancement. Deuxièmement, d’autres dispositifs concourant à des objectifs proches ont été créés – notamment dans le cadre du programme d’investissement d’avenir (PIA) –, et le crédit d’impôt recherche (CIR) a connu une réforme majeure en 2008 et un accroissement substantiel des moyens budgétaires correspondants.

Sur cette base, la CNEPI considère que si les pôles de compétitivité peuvent être un instrument utile de stimulation de l’innovation et des coopérations entre acteurs, il convient cependant que l’État détermine mieux l’objectif qu’il poursuit à travers ces pôles.

S’agit-il de renforcer les activités en aval de la R & D des acteurs existants ou de soutenir des écosystèmes d’innovation en devenir ? L’optimisation nécessaire des moyens devra poursuivre une logique différente en fonction de l’objectif choisi.

Dans la première logique, il conviendra de focaliser le soutien de l’État sur les pôles les mieux articulés avec la politique industrielle d’ensemble du pays dans le cadre des neuf « solutions industrielles ». Cela passera également par une concentration géographique des moyens en faveur des pôles considérés comme les plus structurants.

Dans la seconde logique, plutôt qu’une concentration des moyens sur un même groupe de pôles dans le temps, il faudra élever le niveau d’exigence lors de la sélection des projets, de mieux définir les critères de réussite des pôles, et davantage tenir compte des résultats des évaluations lors du réexamen périodique de leur labellisation. Ainsi, l’État se posera en arbitre et en évaluateur pour encourager les meilleures stratégies par le double jeu de la labellisation et du financement des projets, libre aux régions de soutenir un plus grand nombre de pôles d’intérêt plus local.

Si l’État choisit de s’engager dans cette deuxième voie, qui apparaît plus cohérente avec la promotion d’une innovation ouverte et le renouvellement du tissu productif, il convient qu’il s’appuie sur une définition claire et stable des critères qui présideront à la labellisation des pôles et des projets.

Dans les deux cas, il faut dissocier plus clairement les finalités et les critères d’usage des deux leviers d’action de l’État que sont la labellisation des pôles et leur financement public. En outre, la capacité à capter des financements européens pourrait faire partie des critères d’évaluation des pôles.


1. CNEPI (2016). Les références bibliographiques sont précisées en annexe.
2. Ben Hassine et Mathieu (2017).

pole_competitivite_site_01_.jpg
Type d'image: 
Libre

pole_competitivite_site_01_.jpg, par fcausse

pole_competitivite_site_02.jpg
Type d'image: 
Libre

pole_competitivite_site_02.jpg, par fcausse


 

La Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (CNEPI)

Le 27 juin 2014, la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (CNEPI) a été installée auprès de France Stratégie, à l’initiative conjointe du ministre de l’Éducation nationale, du ministre de l’Économie, du Redressement productif et du numérique, et du secrétaire d’État chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

L’objectif principal de la commission est d’améliorer l’efficacité et l’efficience des politiques d’innovation. Dans cette perspective, la commission est chargée des missions suivantes :

  • évaluer les différentes composantes et dimensions des politiques d’évaluation au regard de leur impact économique (croissance, emplois, etc.) ;
  • les analyser dans leur globalité et s’interroger sur leur cohérence et leur articulation ;
  • formuler des propositions pour renforcer l’efficacité des politiques publiques ;
  • faire connaitre, sur la base d’un travail de veille tant nationale qu’internationale, les bonnes pratiques en matière de politiques d’innovation dans les régions et à l’étranger.

La commission compte une vingtaine de membres : des économistes français et étrangers, des experts issus des administrations publiques et des collectivités territoriales, et des acteurs-praticiens du système d’innovation (entreprises innovantes, transfert et liens recherche-industrie, financement de l’innovation).

PRÉSIDENT
Michel Yahiel, commissaire général, France Stratégie

RAPPORTEURS
Mohamed Harfi, expert référent ; Rémi Lallement, chef de projet, France Stratégie

Les opinions exprimées engagent leurs auteurs
et n’ont pas vocation à refléter la position du gouvernement.

 

 

Auteurs

Mohamed Harfi
Mohamed
Harfi
Travail, emploi, compétences
Rémi Lallement
Rémi
Lallement
Economie