Si l’on entend par là se doter d’une force de frappe prospective, la cible est la bonne. Si l’on vise un renforcement des capacités d’évaluation des politiques publiques, le besoin est aussi avéré. S’il s’agit de resserrer les liens entre ces travaux d’expertise et la société civile, notamment les acteurs sociaux, voire de viser un public plus large encore, on ne peut que souscrire.
Il se trouve que France Stratégie, autour de ses quatre grandes missions – évaluer, anticiper, débattre, proposer – est au cœur de ces défis, qu’elle s’est attachée sans relâche à relever depuis que la réforme de l’ancien Centre d’analyse stratégique les lui a confiés en avril 2013.
Faut-il aller plus loin ? Sans doute.
Cela passe d’abord par une affirmation plus nette de la priorité accordée à l’évaluation des politiques publiques, aussi bien « ex ante » qu’en aval, « ex post ». Ce qui suppose de le prévoir d’emblée, comme ce fut par exemple le cas lors de la création du RMI sous Michel ROCARD, ou plus récemment de la loi MACRON. Autrement dit, il s’agit de faire prévaloir la décision par les objectifs et les résultats, alors que le modèle public français est plutôt fondé sur les moyens et les organisations, le plus souvent en écho à un contexte de finances publiques contraignant et à des règles de gouvernance pour le moins complexes.
Il faut aussi faire en sorte que ces évaluations fassent sens pour des cercles d’opinion plus larges. Ainsi, lorsque France Stratégie évalue les effets du CICE ou d’autres aides aux entreprises, dans le cadre prévu par les textes, l’implication de parlementaires, des partenaires sociaux et des principales administrations concernées permet d’élaborer des constats partagés, voire un certain nombre de recommandations : parvenir sur ces sujets à un consensus le plus souvent unanime, alors même que les parties prenantes ont des avis divergents sur les dispositifs eux-mêmes, présente un grand intérêt. De ce point de vue, la mise en place d’instances permanentes de dialogue au sein de France Stratégie – sur le modèle par exemple de la plateforme RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) – sera poursuivie, en écho aux « commissions de Plan » dont l’utilité ne s’est jamais démentie.
Pour ce qui est du long terme et donc de la prospective, notre pays n’est pas à la traîne. Outre les rapports de France Stratégie et des organismes de son réseau, des ressources conséquentes sont disponibles dans des sphères aussi importantes que les affaires étrangères, avec le CAPS (Centre d’analyse, de prévision et de stratégie), ou plus récemment, sur les sujets régaliens, le ministère de l’Intérieur, sans oublier la richesse des apports des principaux think tanks et des milieux académiques. Or, à l’image de l’innovation entrepreneuriale, la « force de frappe » de cet ensemble réside largement dans sa capacité à collaborer et coproduire : quand la ressource est limitée, le fonctionnement en silo n’est pas une option. Si des progrès ont été ici réalisés, il est assurément possible de les affermir encore et France Stratégie y prendra toute sa part.
Quoi qu’il en soit, de telles démarches nécessitent certes une offre de services organisée et de qualité, mais leur ressort est d’abord celui de la commande politique et de l’intérêt à agir des pouvoirs publics. Il leur revient de vouloir s’appuyer sur ces analyses et savoir en tirer les conséquences. Manifestement, c’est aujourd’hui plus que jamais le cas et toutes les parties prenantes devraient y trouver matière à encouragement et mobilisation.
Alors besoin de Plan, non, mais assurément besoin de boussoles et de cap, notamment sur l’ensemble des questions que France Stratégie a récemment recensées dans 2017-2027, enjeux pour une décennie. Comme l’écrivait Jean MONNET dans son avant-propos au Premier Plan de modernisation et d’équipement voici plus de 70 ans, « nous rencontrerons des difficultés à chaque pas, mais nous les surmonterons d’autant mieux que nous saurons tous où nous devons aller »…