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Publié le
Mercredi 13 Novembre 2013
Quelle France dans 10 ans ? Contribution de François Dubet, professeur émérite, université Bordeaux 2, EHESS : Inégalités et solidarité
François Dubet

Après une trentaine d’années « miraculeuses » de réduction des inégalités sociales dans l’Europe d’après guerre, les inégalités se creusent partout. Les très riches sont encore plus riches, les inégalités de patrimoines sont bien plus considérables que celles des revenus, le chômage et la précarité s’installent pendant que s’accroît le nombre des travailleurs pauvres et que les villes voient se former des « ghettos » où se concentrent les migrants et les plus pauvres alors que les mendiants reviennent dans les rues. En même temps, les représentations, les croyances et les institutions qui assuraient la solidarité semblent faiblir avec le recul des États-providence, la montée des populismes et du racisme, la défiance envers la politique, l’obsession de la sécurité, les pulsions nationalistes des régions riches qui ne veulent plus payer pour les autres, la fuite de ceux qui organisent la fraude et l’évasion fiscales, la sécession de ceux qui veulent se séparer des pauvres et des étrangers, l’exit de ceux qui abandonnent les services publics au profit des services privés…

Nous pourrions conclure que ce déclin de la solidarité procède mécaniquement de l’accroissement des inégalités sociales. Dans cas, on pensera que la solidarité, le sentiment profond de participer de la même société, ce terme que le triptyque républicain français nomme la fraternité, est une conséquence de l’égalité : plus nous sommes égaux, plus nous devenons « frères ». À l’inverse, moins nous sommes égaux, plus nos liens de solidarité se distendent et ce serait donc principalement les grandes crises économiques creusant les inégalités qui affaibliraient la fraternité[1].

Sans mettre radicalement en cause ce raisonnement, mon intervention voudrait cependant le discuter afin de montrer que le déclin des solidarités n’est pas seulement une conséquence du creusement des inégalités sociales, mais qu’il en est aussi une des causes[2]. Tout se passe comme si nous avions « choisi » l’inégalité en abandonnant la solidarité. Le développement de cette hypothèse n’est pas sans conséquences politiques et pratiques car, si la solidarité est une condition préalable de l’égalité, il importe d’en faire un objectif politique majeur.

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[1] Cependant, le déclin de la solidarité et les poussées de l’extrême droite se manifestent aussi dans les pays a priori les mieux protégés de la crise économique, comme l’Autriche, la Norvège ou la Suisse.
[2] Même si J. Rawls écrit que « En comparaison aux idées de liberté et d’égalité, l’idée de fraternité a moins de place dans les théories de la démocratie » (Théorie de la justice, Paris, Seuil, 1987 (1971), p 135), le principe de différence qui exige de se placer du point de vue des plus défavorisés exige un line de solidarité, le sentiment d’être dans le même monde social. C’est pour cette raison que la théorie de la justice vaudrait pour les État-nations et que l’hypothèse de la priorité du juste ne peut pas être tenue jusqu’au bout.
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