Près de neuf mois plus tard, l’heure est à un premier bilan. À première vue, le résultat n’est pas très bon. En septembre 2015, le taux d’inflation en zone euro est légèrement négatif et s’établit à - 0,1 %. Ce taux calculé au niveau agrégé est tiré vers le bas par les taux d’inflation négatifs en Espagne, en Slovénie ou en Grèce (de respectivement - 0,5 %, - 0,6 % et - 0,4 % en août) mais aussi par la faiblesse de l’inflation en Allemagne ou en France (+ 0,1 % en août dans ces deux pays).
Il convient toutefois de nuancer cette lecture. Pour juger l’action de la BCE, il est plus approprié de regarder les évolutions de l’inflation corrigées des variations des prix des matières premières et de l’alimentation. En effet, ces dernières sont par nature plus volatiles et dépendent avant tout de la conjoncture internationale et non de l’action de la banque centrale. Cette inflation, dite « sous-jacente », peint un tableau plus optimiste de l’impact de l’action de la BCE : en baisse continue depuis 2012, l’inflation sous-jacente était à 0,6 % en janvier 2015 ; elle s’est reprise et se situe à 0,9 % en septembre. Pour autant, si c’est une évolution indéniablement positive, il reste encore du chemin à parcourir pour qu’elle revienne à son taux moyen historique de 1,3 %.
Une inflation qui peine à rebondir
Source : Eurostat.
Comment mesurer les effets du quantitative easing ?
Outre l’inflation, les effets du QE peuvent être évalués à l’aune des différents canaux de transmission à travers lesquels l’action de la banque centrale influence l’économie réelle.
Premier canal, celui des taux d’intérêt. De ce point de vue, l’action de la BCE a eu des effets significatifs. En effet, que ce soit les taux d’intérêt auxquels empruntent les entreprises, les ménages ou les États, ceux-ci ont tous diminué depuis le 3è trimestre 2014, date à laquelle les marchés ont commencé à anticiper la mise en œuvre du programme de la BCE. Ce relâchement des conditions monétaires s’est fait particulièrement ressentir dans les économies précédemment les plus touchées par la crise, notamment en Espagne et en Italie où les taux des crédits aux entreprises ont baissé de plus de 50 points de base.
Des conditions monétaires qui se détendent
Source : BCE.
- Deuxième canal, le taux de change. En exerçant une pression baissière sur les taux d’intérêt, les programmes d’achats d’actifs tendent à déprécier le taux de change ce qui a des effets positifs sur l’activité (notamment via la hausse des exportations) et l’inflation (via la hausse mécanique du prix des importations). Comment s’est comporté l’euro depuis l’annonce du programme ? Depuis le troisième trimestre 2014, il s’est assez largement déprécié tant face au dollar (- 14 %), principale monnaie partenaire, qu’en termes effectifs (- 7 %), c’est-à-dire en évolution moyenne par rapport à l’ensemble des monnaies partenaires de l’euro.
Une dépréciation du change fin 2014-début 2015
Source : BCE.
- Troisième canal, le prix des actifs financiers : en soutenant ces derniers (notamment les cours boursiers), la politique de la BCE permet de relancer la consommation et l’investissement à travers des effets de richesse. Entre janvier et août, les valeurs boursières européennes ont toutes connu une appréciation significative, l’indice de référence pour la zone euro, l’Euro Stoxx 50, s’appréciant de 15 %. Mais cet effet a été de courte durée, les turbulences sur les marchés financiers internationaux au cours de l’été (notamment celles venues de Chine) ayant effacé les gains du début d’année. Qui plus est, les effets richesses sont faibles en zone euro car les ménages européens détiennent relativement moins d’actifs boursiers. L’importance de ce canal est donc modeste.
Des indices boursiers volatiles
Source : Datastream.
- Quatrième et dernier canal de transmission, celui des anticipations : en annonçant un programme d’une telle envergure, les agents économiques reprennent confiance dans la capacité de l’économie à croître et à générer de l’inflation. La principale mesure de cet effet du QE, surveillée à ce titre par la BCE, est le swap d’inflation 5 ans dans 5 ans, produit financier qui reflète la perception des investisseurs quant au niveau qu’atteindra l’inflation à l’horizon de cinq ans en moyenne, sur les cinq années suivantes (entre la 5è et la 10è année). C’est d’ailleurs la chute de cette variable en 2014 qui avait tant inquiété la BCE et lancer les débats quant à l’opportunité d’un programme d’achats de titres. Depuis janvier 2015, le swap d’inflation 5 ans dans 5 ans a d’abord connu une période de hausse encourageante jusqu’en juillet avant de retomber depuis et d’atteindre aujourd’hui un niveau inférieur à celui qui était le sien avant l’annonce du programme. Là encore, une partie sans doute substantielle de cette évolution est guidée par les évolutions des prix des matières premières à court terme. Néanmoins, même après prise en compte de ce dernier effet, les résultats obtenus sur le front des anticipations restent décevants à ce stade.
Pas de ré-ancrage des anticipations
Source : Datastream
Une pression désinflationniste structurelle, hors du contrôle de la BCE ?
Au vu des moyens engagés dans la bataille contre les forces désinflationnistes et les résultats en demi-teinte pour l’instant obtenus, faut-il en conclure que la politique monétaire de la BCE est désormais moins efficace ?
Tout d’abord, il faut prendre en compte le contexte international particulier marqué par une réduction très significative du prix des matières premières et par une pression désinflationniste généralisée. Historiquement, la baisse du prix des matières premières observée depuis mi-2014 est d’une envergure exceptionnelle tant par son ampleur que par sa persistance. Alors que depuis les années 1980, l’impact du prix des matières premières sur l’inflation sous-jacente s’était fortement réduit, il est possible que les évolutions récentes aient modifié la donne. Ceci peut expliquer en partie la faiblesse généralisée de l’inflation sous-jacente observée dans l’ensemble des économies avancées depuis un an et demi.
Par ailleurs, depuis 2010 la zone euro connaît un processus d’ajustement important de la compétitivité au sein des États membres. Or cette « reconvergence » se fait surtout à travers des baisses de salaires dans les économies précédemment en déficit courant, et sans hausses significatives des salaires et des prix dans les économies en excédent ce qui a créé un contexte désinflationniste pour l’ensemble de la zone.
Enfin, il est possible que l’inflation soit durablement plus basse pour des raisons structurelles qui ne sont pas en lien avec la politique monétaire ou la conjoncture macroéconomique. La mondialisation des échanges, le progrès technologique, la perte du pouvoir des syndicats dans les négociations salariales et l’accroissement de la concurrence sur le marché des biens et services sont autant de facteurs pouvant expliquer les pressions désinflationnistes croissantes dans les économies avancées.
Quoiqu’il en soit, la faiblesse observée de l’inflation en zone euro est également le produit d’un déficit de demande agrégée. À ce titre, il n’est pas certain que la politique monétaire puisse seule tirer la zone euro vers un équilibre de croissance et d’inflation plus élevées. Une combinaison de réformes structurelles ambitieuses et d’une orientation budgétaire favorable à la croissance dans les pays où les marges de manœuvre existent permettrait de décupler l’effet de la politique de la BCE.